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il s’enrichit de la traduction des principaux ouvrages arabes et persans, devenue nécessaire depuis que l’islamisme était représenté dans ces contrées par une langue reconnue nationale. Bientôt il produisit à son tour une littérature complète, toute de renaissance il est vrai, contrastant avec celle de l’Inde ancienne autant que la blanche mosquée avec la sombre pagode, mais professée par des poètes de renom dans plus d’une école brillante, et mise en lumière par des prosateurs sérieux, philosophes, chroniqueurs et érudits. Enfin, dans cette vaste contrée qui compte tant de patois formés des débris du sanscrit et plus d’une langue véritable, parlée par des nations d’une autre race, comme chez nous celles des Basques et des Bretons, l’hindoustani continua d’être sous la nation anglaise ce qu’il avait été sous les conquérans mogols, l’idiome militaire, l’idiome des cours musulmanes, et, dans plus d’une localité, il devint celui de la diplomatie, au préjudice du persan.

Si l’on songe qu’entre la première apparition des mahométans dans l’Inde, c’est-à-dire celle des Arabes (surnommés Afghans ou Patans), qui, dépassant la Perse sous le khalife Oualid en 711, s’élancèrent vers Delhi, et l’invasion définitive des Mogols en 1398, il s’écoula six siècles et demi, on comprendra parfaitement que durant cette longue période la fusion des deux peuples et des deux langues put se préparer. Au IXe siècle, les khalifes abassides régnaient même à l’est de l’Indus, englobant ainsi dans leurs possessions le pays des émirs du Scinde. De l’an 1000 à l’an 1183, la dynastie afghane de Gazni, dont Mahmoud fut le héros, étendit ses conquêtes au-delà de Delhi et d’Agra, et pendant ces deux siècles il y eut, entre les sectateurs du prophète et ceux de Vichnou, des relations multipliées et suivies qui affaiblirent peu à peu l’unité religieuse de la nation hindoue. La lutte eût été moins longue, si un peuple placé entre le Scinde, toujours franchi par les envahisseurs, et le Gange, dont les riches vallées appelaient l’invasion, vivant dans un cercle de montagnes groupées comme les tours d’une forteresse au milieu de l’Inde, n’avait défendu avec le courage du désespoir le sol et la religion de sa patrie. Ce peuple, c’étaient les Radjapoutes, fils de rois, race noble et hautaine, à qui la prétention d’une descendance illustre inspirait une valeur héroïque. Régis par le système féodal, toujours prêts à descendre de leurs donjons escarpés au son de la cloche de guerre, ces barons du moyen-âge asiatique maintinrent leur indépendance jusqu’à la fin du XIIe siècle, époque à laquelle, vaincus et non soumis, ils payèrent un tribut au sultan de Delhi, et lui four-