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DE LA LITTÉRATURE MUSULMANE DE L’INDE.

dut être moins étudiée, car elle était moins littéraire, moins savante, mais plus parlée que celle des Arabes à cause de son utilité pratique. Le Persan, déjà modifié par tant de révolutions, avait acquis par cela même un caractère plus souple, plus susceptible de s’approprier ce qui lui venait du dehors ; dans ces sociétés changeantes, il apparaît comme le Grec de l’Asie. Mobile et facile à blesser dans son amour-propre, il donna dans le schisme shiite et se sépara des khalifes, comme le Grec s’était séparé des papes. Sa langue, douce et harmonieuse, variée dans ses formes, fut celle de la diplomatie et de la haute correspondance ; elle prit de là une certaine allure de courtisan, tout en sachant se plier avec une facilité rare à la poésie mystique comme à la poésie légère, aux épopées de longue haleine comme aux petits poèmes de caravane ; elle serait à la langue arabe ce qu’est la langue de Virgile à celle d’Homère.

À côté de ces trois principaux idiomes, il s’en forma, dans des conditions pareilles, un quatrième. L’Inde était un monde à part dans lequel l’islamisme, violemment apporté, introduisit avec une race étrangère une croyance et des mœurs nouvelles qui produisirent à la longue une population mêlée et une langue mixte. Dans le nouvel idiome, le verbe, base de toute langue, continua presque seul d’appartenir d’une manière nécessaire aux radicaux primitifs, tandis qu’autour de cette partie vitale du discours se groupèrent des expressions empruntées aux Afghans venus d’Arabie ou aux Mogols sortis de la Perse. Ce jeune dialecte, de la grande famille musulmane, nommé hindoustani, fut assez lent à se former, bien que les hindous racontent naïvement qu’il naquit presque tout à coup sous les tentes de Timour. Cette erreur vient du nom de ourdou zaban, langue du camp, qu’ils lui ont donné, sans doute parce qu’il acheva de se fixer dans les bazars où la population vaincue entra journellement en communication avec les cent mille cavaliers du conquérant mogol. C’est sur cette dénomination de ourdou zaban que se fonde un voyageur célèbre de ces derniers temps pour appeler langue de corps-de-garde l’idiome moderne de l’Inde, dont l’armée cependant n’est pas seule à se servir. Confiné d’abord dans les camps, où il jouait le rôle de lingua franca sous forme de patois, l’hindoustani se répandit peu à peu dans les masses à mesure que s’affermissait la conquête ; de patois, il devint langue quand les écrivains hindous l’eurent soumis aux règles de la poésie. Sous les empereurs mogols amis des lettres, comme sous les petits princes musulmans qui s’établissaient çà et là dans l’Inde morcelée et s’entouraient d’une cour,