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souvenir de la domination sarrasine, perpétué par tant de merveilleux édifices. La Perse, condamnée à être envahie successivement par Les Macédoniens remontant vers l’Orient, par les Parthes descendus des bords de la mer Caspienne, par les khalifes qui s’élançaient à la fois au-delà de la mer Rouge et du golfe Persique, enfin par les Mogols sortis des environs du lac Baïkal, où les Turcs avaient jadis campé côte à côte avec eux, la Perse, soumise aux Ommiades dès le VIIe siècle, vit peu à peu sa vieille langue disparaître avec les Guèbres, qui fuyaient emportant le feu sacré, d’abord dans le Khorassan, puis à Ormuz, puis à l’ouest de l’Inde ; et à ce langage mutilé, dont les radicaux appartiennent pour la plupart à celui des brahmanes, l’idiome de l’islamisme prêta ce dont il avait besoin pour faire face aux exigences d’une philosophie nouvelle et d’une religion devenue celle du peuple.

Toutefois, sous l’enveloppe d’une croyance commune, les trois grandes nations mahométanes conservaient chacune leur caractère particulier et individuel, qui, loin de disparaître sous le flot de l’invasion, se développa avec le temps d’une façon précise et se révéla bientôt dans le génie de leurs langues. Selon les aptitudes spéciales de son esprit, chaque peuple eut son rôle propre dans ce monde refait à neuf. L’Arabe, contemplatif, fanatique, ardent, mais avide de poésie et ayant en honneur l’art de bien dire, se chargea de conserver dans sa pureté primitive le dogme dont il était le gardien né, de l’appuyer et de l’élucider par les commentaires. L’esprit de tribu se porta vers les chroniques qui établissent l’ancienneté des familles ; la vie errante et guerrière fit croître chez l’Arabe le goût des légendes héroïques, des récits à faire sous la tente. Sa langue dominatrice et inaltérée devint celle de l’islam par excellence, celle de l’histoire mahométane ; elle fut l’expression d’une littérature mystique et passionnée qui contenait en germe presque tout ce que devaient produire celles des deux autres peuples. Moins chevaleresque, mais tout aussi porté à la propagande à main armée qui autorisait et provoquait les conquêtes, le Turc, face à face avec l’Europe, s’occupa du présent plus que du passé. Assis aux Dardanelles et sur les deux rives de la Méditerranée comme une sentinelle avancée de l’islam, il était plus jaloux de faire triompher le Coran que de l’expliquer. Sa langue, répandue dans un si grand nombre de provinces soumises l’une après l’autre à l’empire ottoman, fut celle de l’armée, et par suite celle du commerce, quand les pachas du grand-seigneur gouvernèrent les villes bâties sur les bords du Nil et de l’Euphrate. Elle