Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/971

Cette page a été validée par deux contributeurs.
965
DE LA LITTÉRATURE MUSULMANE DE L’INDE.

cette œuvre d’assimilation que le christianisme opérait en Occident. Ces dynasties, tantôt fanatiques et ignorantes, tantôt éclairées et favorables aux lettres, firent sentir successivement, d’une extrémité à l’autre de ce monde nouveau, ou le joug tyrannique d’une oppression qui brise les nationalités, ou les bienfaits d’une civilisation qui les efface aussi en les modifiant d’une façon plus douce.

Cette double action dut se trahir de bonne heure dans les langues, dans les littératures de l’Orient ; les peuples anciens, abdiquant leur passé, arrêtés soudainement dans la route suivie depuis tant de siècles, ne purent garantir leurs idiomes d’un mélange inévitable ; avec une religion étrangère, la conquête introduisait nécessairement un nouvel ordre d’idées, et par suite de nouvelles formes de langage. Les peuples barbares, au contraire, fixés tout à coup dans leur marche incertaine par l’islamisme, qu’ils avaient adopté, n’eurent qu’à gagner à cette transformation ; ils s’enrichirent par ce contact avec les nations plus policées dont ils partageaient la croyance, de tout ce qui manquait à leurs langues encore informes.

Sans se substituer aux idiomes qu’elle rencontra dans son expansion à travers les trois vieilles parties du globe, la langue de l’islam, celle des khalifes, si parfaite dans sa structure, si abondante en formes précises qui fixent les nuances et pour ainsi dire les demi-tons de la pensée, imposa à tous les peuples musulmans non-seulement son système graphique, ce qui est beaucoup déjà, mais encore, dans une proportion plus ou moins grande, ses noms d’action, ses substantifs abstraits, ce qui compose la partie métaphysique du discours, de telle sorte que toute proposition un peu étendue a besoin, pour être développée pleinement, de recourir à la langue philosophique et sacrée. Et cela suffit pour donner aux idiomes musulmans un air d’homogénéité ; sous une commune tendance se cachent des origines diverses ; le mot étranger, partout présent, est comme la bannière du conquérant sur les tours de la ville prise, comme le croissant d’or sur le dôme de Sainte-Sophie.

Lorsque les Turcs, en marche vers l’Europe depuis la fin du VIIe siècle, acceptèrent cette croyance dont ils devaient être un jour les plus redoutables représentans, et vinrent élever entre l’Orient et l’Occident cette barrière si long-temps menaçante qui força les nations chrétiennes à s’ouvrir de nouvelles routes à travers l’Océan, ils subirent à leur tour ce joug intellectuel ; leur idiome tartare fut adouci et bientôt fertilisé par l’idiome arabe, partout fécond, et qui a laissé dans celui des Espagnes des traces aussi ineffaçables que le