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MISÉ BRUN.

et elle décacheta d’une main tremblante le mystérieux paquet. L’enveloppe cachait un médaillon que la jeune femme se rappela aussitôt avoir vu suspendu à la cheminée de cette chambre où elle avait passé, le soir précédent, les momens les plus terribles et les plus doux de sa vie. Le cercle d’or guilloché du médaillon contenait d’un côté des lettres initiales tracées délicatement sur vélin, et de l’autre un portrait en miniature de la plus admirable ressemblance. Par un mouvement spontané, involontaire, misé Brun pressa ce portrait sur ses lèvres, puis elle le cacha dans son sein. Quelques heures plus tard, les voyageurs arrivaient à Grasse. Bruno Brun, en mettant pied à terre, dit avec satisfaction :

— Dieu soit loué ! nous avons fait le voyage sans aucune mauvaise rencontre, et nous arrivons à temps pour l’ouverture de la foire.

VI.

Huit jours plus tard, la famille Brun, réunie de nouveau dans la maison de la rue des Orfèvres, faisait la veillée autour de la table que Madeloun achevait de desservir. Bientôt misé Brun, prétextant une extrême lassitude, monta dans sa chambre, et l’orfèvre resta seul vis-à-vis de son père et de la tante Marianne.

— La foire a été bonne, et j’ai bien mené mes affaires là-bas, dit-il d’un air capable ; de toutes manières, j’ai sujet d’être content.

— Ta femme me paraît triste, observa le vieux Brun.

— Ce n’est rien ; c’est le voyage qui l’a fatiguée. En partant, elle était ravie ; il lui semblait qu’il n’y avait rien au monde de si agréable que de courir les grands chemins, mais elle a été bientôt lasse de tout cela. Au retour, quand nous avons passé dans le bois de l’Esterel, elle n’a plus mis pied à terre pour cueillir des fleurs et s’arrêter devant chaque buisson à entendre chanter les oiseaux : elle est restée tranquillement au fond de la carriole. Quand nous avons été au logis de l’Esterel, elle a un peu avancé la tête pourtant, afin de demander des nouvelles de ce grand coquin de conducteur que nous y avions laissé ; mais l’hôtesse et la servante avaient abandonné la maison : il n’y avait plus personne. Pendant le reste du voyage, elle n’a plus manifesté la moindre curiosité, et je crois qu’elle s’est sentie fort soulagée en se retrouvant ici ce matin.

— Et à Grasse, comment les choses se sont-elles passées ? demanda la tante Marianne.