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— Oui, c’est bien moi, reprit-elle en souriant au milieu de ses larmes ; est-ce que vous ne me reconnaissez pas ? est-ce que vous ne remettez pas ma figure ?

Il porta la main sur sa poitrine avec un geste énergique, comme s’il eût voulu lui dire, en montrant son cœur, que son image était là ; puis, tâchant de dominer la violence de sa propre émotion, il força doucement misé Brun à s’asseoir, et resta devant elle, une main appuyée sur la table où il écrivait quelques instans auparavant. Il y avait sur cette table des papiers, les restes d’une légère collation et des armes.

— Est-il possible que je vous rencontre ici ? dit-il d’une voix altérée ; comment y êtes-vous venue ? pourquoi vous y êtes-vous arrêtée ?

Cette question rappela tout à coup à misé Brun le danger qu’elle venait d’oublier un moment. Elle se tourna vers la porte avec un geste de terreur, et répondit en baissant la voix : — Mon mari se rend à Grasse pour ses affaires ; il a voulu m’emmener. Aujourd’hui, un accident nous a fait entrer ici, et le mauvais temps nous a forcés d’y rester. Je n’avais ni crainte ni défiance. Je me croyais en sûreté, lorsque par hasard j’ai su… j’ai vu… Oh ! quelle iniquité ! quelle honte ! On nous a attirés dans un piége. Nous ne sommes pas seuls ici. Un homme, dont j’ai repoussé les insolentes galanteries, est venu m’y attendre. Il a gagné l’hôtesse sans doute, et je suis à sa merci dans ce coupe-gorge.

Tandis qu’elle parlait, une secrète fureur éclatait dans le regard de l’étranger et faisait pâlir sa lèvre hautaine ; mais aucun autre signe ne manifesta les violences intérieures auxquelles il était en proie. — Ah ! c’est le marquis de Nieuselle qui est là ! murmura-t-il comme se parlant à lui-même et en saisissant ses armes.

Il allait sortir ; misé Brun se jeta au-devant de lui, les mains jointes et comme égarée.

— Où allez-vous ? s’écria-t-elle ; que voulez-vous faire ? Cet homme n’est pas seul ; il doit avoir aussi des armes. Vous exposeriez votre vie en voulant me défendre. Non, non, je ne le veux pas ! Vous seul contre tous ! ils vous tueraient peut-être !

Il secoua la tête avec un geste inexprimable de défi, d’assurance, de mépris du danger.

— Ne craignez rien, laissez-moi faire, répondit-il ; il faut que je vous délivre de cet homme. Qu’importe qu’il ne soit pas seul ! Je viendrai à bout de lui et des siens. Restez ici tranquille ; bientôt tout sera fini.