Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/955

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
949
MISÉ BRUN.

— Je ne vous aurais pas avertie, si je ne savais un moyen de vous sauver peut-être, dit l’enfant en ramenant misé Brun à l’autre extrémité du corridor. Écoutez-moi bien : là-bas, dans une chambre, au fond de ce passage, il y a quelqu’un qui pourrait prendre votre défense…

— Le voyageur qui est arrivé cette après-midi ? interrompit misé Brun.

— Oui. Ceux que vous avez vus là, dans cette salle, ignorent qu’il est ici. Allez le trouver, jetez-vous à ses pieds, dites-lui ce que veulent ces méchantes gens. Vous êtes si belle, qu’il n’aura pas le cœur de vous voir pleurer. Il vous prendra sous sa protection, et alors… C’est un lion ; il se battra, il vous sauvera, j’en réponds… Venez.

— Tu connais donc cet homme ? demanda misé Brun en se laissant conduire au milieu des ténèbres.

— Oui, je le connais. Vous voici à sa porte : entrez… Il n’y a pas un moment à perdre. On m’appelle en bas : entendez-vous ?

En effet, la voix de l’hôtesse retentissait dans l’éloignement. — Écoutez, reprit la petite servante en serrant fortement les mains de misé Brun, quoi qu’il arrive, ne dites pas que c’est moi qui vous ai avertie ; ne le dites pas, on me tuerait. — Elle s’en alla à ces mots avec l’agilité prudente d’un chat qui cherche sa route dans l’obscurité. La jeune femme resta environnée de ténèbres. Seulement, une ligne lumineuse tracée sur le sol lui indiquait la porte où elle devait frapper. Dans cette situation extrême, il n’y avait pas à hésiter. Elle heurta un léger coup contre le panneau, et entra toute tremblante, sans pouvoir articuler un mot et sans oser lever les yeux. Au bruit qu’elle fit en s’avançant, l’homme dont elle venait implorer le secours se retourna à demi et dit sans la regarder : — Eh bien ! le courrier d’Italie et son escorte ont-ils passé enfin ?

En entendant cette voix, misé Brun jeta un cri et se précipita les mains jointes, le visage inondé de larmes, devant celui qu’elle venait de reconnaître. — C’est vous, c’est vous, dit-elle ; ah ! béni soit le ciel !…

L’excès de son émotion l’empêcha de continuer ; elle s’appuya défaillante contre le siége que l’étranger venait de quitter, et tendit les mains vers lui avec un mouvement inexprimable d’espoir, de confiance et de joie. À l’aspect de misé Brun, il s’était levé pâle d’étonnement, et, debout en face d’elle, il la considérait dans une silencieuse stupéfaction, comme s’il eût douté de ce qu’il voyait et hésité à croire que c’était bien elle qu’il retrouvait en ces lieux.