Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/928

Cette page a été validée par deux contributeurs.
922
REVUE DES DEUX MONDES.

qui se confondent au sujet de cette double mort. C’est sans doute à raison de ce dénouement que Lope a donné à son drame le titre d’action tragique ; il ne s’agit pas ici d’examiner si ce titre convient, ni jusqu’à quel point l’assassinat de don Bela et la chute de Gherarda dans la cave sont des incidens dramatiques dignes d’être pris au sérieux.

Les passages de ses poésies diverses où Lope de Vega parle de lui-même ne sont pas à beaucoup près les seuls qu’on puisse appliquer à l’interprétation de son drame. Il en est plusieurs autres qui offrent des allusions plus ou moins précises, plus ou moins curieuses, à des faits développés dramatiquement dans la Dorothée. Je me bornerai à en citer deux, les plus importans selon moi et les plus significatifs de tous. Le premier se rencontre dans une épître fort intéressante de Lope à don Antonio de Mendoza.

« Dans mes tendres années, je quittai mon pays et mes parens pour affronter les rigueurs de la guerre, et, abordant par la mer profonde les royaumes étrangers, je servis d’abord de l’épée avant de consacrer ma plume aux tendres illusions. Mais à peine entré dans la carrière des armes, mes goûts m’en détournèrent, et les muses me firent une plus douce vie ; je ne leur résistai pas, j’étais né plein d’elles. Et le fils de l’oisiveté, l’amour, m’inspira à la fois désirs et vers, l’amour en âge tendre, dont les triomphes aboutissent à l’exil et à la tragédie, avec plus de souvenirs que n’en peuvent effacer deux Léthés. »

Ces vers ne sont pas exempts de vague ni d’obscurité ; il n’y a pas pourtant deux manières de les entendre. Les deux premiers tercets se rapportent indubitablement à une première campagne que Lope dut faire à l’âge de quinze ans, et dont les biographes n’ont rien dit. Les deux tercets suivans sont également une allusion certaine et même une allusion vive et pittoresque, bien qu’un peu trop concise, à ces amours de sa jeunesse qui devaient être pour lui le sujet d’un drame.

Parmi les poèmes divers dans lesquels Lope de Vega a retracé quelques souvenirs de sa vie, il en est un qui jette une lumière plus vive encore, tant sur l’ensemble de sa biographie que sur l’épisode dont il s’agit ici. Ce poème, intitulé Philomela, est tout ce que l’on peut imaginer de plus bizarre pour le motif et pour la forme ; il se divise en deux parties, sinon indépendantes l’une de l’autre, au moins très distinctes. La première est un récit des aventures et des infortunes mythologiques de Philomèle et de sa métamorphose en rossignol. La seconde, la seule qui nous intéresse ici, est un récit allégorique, dans lequel Lope de Vega, transformé en rossignol, chante sa vie entière, depuis sa naissance jusque vers ses dernières années. Il raconte son origine asturienne, sa naissance à Madrid, les jeux de son enfance, ses premières études et ses premières amours, et tout cela il le raconte, ou, pour mieux dire, Philomèle le chante, avec une certaine suite et des détails pittoresques souvent pleins de grace et de poésie. Je me bornerai aux traits qui se rapportent à sa liaison avec cette jeune enchanteresse déjà connue de