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de sa mort n’est nulle part précisée par Lope ; mais on pourrait aisément s’assurer qu’elle s’éloigne peu du terme marqué par la prédiction.

Quant à la fameuse expédition de la grande Armada contre l’Angleterre, ce n’est point sous forme de prophétie qu’il est dit que Fernando y prendra part en qualité de volontaire : c’est Fernando lui-même qui annonce d’avance comme arrêté dans sa tête le projet de faire cette campagne. Dans un autre endroit de son drame, Lope a déjà fait, par l’organe de Fernando, une première allusion à sa campagne dans la grande Armada. Cette allusion, qui n’était d’abord qu’indirecte et implicite, il la répète ici plus expresse et plus claire, et il n’est pas inutile d’observer qu’il y revient fréquemment, dans ses poésies diverses, avec un intérêt et une vivacité qui attestent combien il était fier de ce souvenir de sa jeunesse.

Parmi toutes ces prédictions relatives à Fernando, et qu’il est indispensable d’appliquer à Lope de Vega, il en est une qui ne manque pas d’intérêt, bien qu’un peu plus obscure que les précédentes. Je crois devoir la répéter telle qu’elle sort de la bouche de César. « Il est vrai, Fernando, vous avez la fortune bien contraire en amour. Apprenez que de cruelles traverses vous attendent de sa part, et gardez-vous bien de certaine femme par laquelle vous serez ensorcelé. Du reste, vous vous sauverez de tout par vos prières et en changeant de condition. » Il s’agit ici de deux faits distincts, mais présentés comme ayant l’un avec l’autre une certaine connexion. Pour ce qui est du changement de condition, il ne peut y avoir d’incertitude : c’est indubitablement à l’entrée de Lope dans le sacerdoce qu’il est fait allusion dans la prophétie. On ne peut dire avec la même assurance quelle fut cette femme qui lui tendit des piéges par ses séductions, mais il est plus que probable que ce fut doña Maria de Luxan. Il est constaté qu’en 1605, aussitôt après la mort de sa seconde femme, Juana de Guardio, Lope se lia intimement avec doña Maria sans l’épouser et en eut deux enfans, une fille et un fils. La première, Marcela, à peine âgée de quinze ans, prit le voile dans un monastère de religieuses trinitaires ; le second, Lope Félix Carpio y Luxan, périt à l’âge de quinze ans, dans le service de la marine, où il venait d’entrer. Ces amours de Lope avec doña Maria furent les dernières : capable encore d’être tenté par le monde, il y renonça, et partagea le reste de sa vie entre les devoirs du sacerdoce et la poésie.

Mais revenons à l’analyse du drame ; il suffira de quelques mots pour la terminer. — Ayant perdu tout espoir de regagner le cœur de Fernando, Dorothée cède d’abord à sa douleur et s’abandonne à des lamentations touchantes, qui contrastent singulièrement avec les efforts et les plans de Fernando pour se dégager de ses chaînes. À la fin cependant, emportée par un mouvement de désespoir, elle déchire un portrait de Fernando qu’elle tenait à la main ; puis, encouragée par Célie, sa confidente, elle se met à brûler à la flamme d’une lampe les lettres, les billets, les pièces de vers qu’elle a reçus de Fernando, ne pouvant s’empêcher d’en relire à la dérobée des traits, des pages ou des