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dans tout ce qu’il dit d’eux, il n’y a pas un mot qui prétende à éveiller la curiosité, qui soit l’indice d’une velléité poétique. Il n’y a, dans tout cela, relativement à Lope, qu’une chose évidente : c’est qu’il regarde les personnages auxquels s’applique sa prédiction comme des personnages réels, c’est qu’il se constitue en relation avec eux, c’est qu’il prend à leurs actions une sorte d’intérêt personnel. Ici comme dans le drame, et bien plus encore que dans le drame, il y a entre Fernando et Lope de Vega une identité impossible à méconnaître ; ici, bien plus que dans le drame, les incidens se présentent avec une évidence d’individualité qui exclut tout soupçon d’invention romanesque ou poétique. Ici enfin, il y a des preuves de fait pour confirmer les vraisemblances morales et littéraires. Pour procéder avec méthode dans ma démonstration, je crois nécessaire d’abord de résumer et de préciser aussi sommairement que possible les faits rapportés ou impliqués dans la prédiction dont il s’agit.

Après sa rupture avec Dorothée, Fernando se mariera avec une jeune personne, qui se prendra d’amour pour lui et pour sa renommée naissante. — Quand il sera marié, Dorothée et sa mère se concerteront pour se venger de lui et le persécuter. — Par suite de ces persécutions, Fernando sera emprisonné et exilé de Madrid. — Il sera accompagné et soigné dans son exil par sa femme, qu’il perdra la septième année de son mariage. — Il suivra comme simple soldat l’expédition de l’Armada contre l’Angleterre. — Fernando aura à se garder des piéges d’une séductrice, et finira par changer de condition. — Marfise sera deux fois mariée en pays étranger, et son second mari la fera mourir à force de jalousie. — Dorothée, veuve, proposera de nouveau sa fortune et sa main à don Fernando, qui les refusera. — Entre plusieurs puissans patrons, il en aura un plus constant et plus affectionné que les autres. Pour admettre les particularités enveloppées dans cette prophétie comme des fictions, des traits romanesques, jetés dans la Dorothée en guise de moyens dramatiques ou par caprice, il faudrait je ne sais quel vice, quelle infirmité d’imagination que je ne puis combattre, ne sachant point me les figurer. Ces incidens, je le répète, sont tous des faits réels, qui rentrent tous plus ou moins directement dans la biographie de Lope. La prédiction qui les embrasse, et dont ils ressortent tous avec plus ou moins de saillie, n’est qu’une continuation irrégulière et capricieuse du premier projet de Lope, de représenter sous forme de drame les aventures de sa jeunesse. C’est toujours de lui-même qu’il parle, sous le nom de Fernando ; c’est toujours à lui qu’aboutissent les fils par lesquels les destinées de Marfise et de Dorothée se prolongent plus ou moins hors de l’action dramatique. La seule différence, c’est que dans l’appendice prophétique les faits sont plus rapprochés que dans le drame.

Et d’abord, ce qui est vaguement prophétisé du mariage de Fernando n’est que l’indice sommaire du premier mariage de Lope. À peine affranchi du joug de Dorothée, c’est-à-dire vers 1584, Lope de Vega entre au service du