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LES AMOURS DE LOPE DE VEGA.

Fernando. — Nous savons déjà que vous ne pouvez rien trouver dans les étoiles qui ne dépende de la première de toutes les causes. Parlons donc de Marfise, en nous en remettant, comme nous le prescrit la vraie loi que nous professons, à la sagesse suprême, de la connaissance de l’avenir, et à l’omnipotence divine, de la disposition des évènemens.

César. — Eh bien ! cela convenu, je vous dirai, Fernando, que Marfise se mariera pour la seconde fois à un homme qui sera envoyé hors du royaume avec un honorable office. Elle tardera peu à devenir veuve, et, se remariant avec un homme de guerre de notre pays, elle sera terriblement malheureuse.

Fernando. — En quoi ?

César. — Son mari la fera mourir de la jalousie que lui inspirera un de ses amis.

Fernando. — Que vous êtes tragique ! que vous êtes cruel ! et que fâcheusement vous avez marqué les aspects de ce quadrangle ! N’y a-t-il rien qui puisse prévenir de tels évènemens ? Oh ! je ne vous ferai plus de questions de ma vie. Ô mon Dieu, quel mal vous me faites ! Marfise morte, et loin de la patrie !

César. — Oh ! comme le mensonge qui flatte est mieux venu que la vérité ! Si je vous avais prédit, à vous, un héritage de cent mille ducats, et pour Marfise quelque beau titre, tout en tenant fausse la prédiction, vous m’en auriez su gré.

Fernando. — J’ai beau savoir que tout cela est incertain, je ne puis revenir à moi. Le cœur est lâche quand il aime, et le doute est puissant dans l’attente du mal. Moi en prison ! moi en exil ! Marfise morte !

César. — Laissez, Fernando, laissez là ces sottes imaginations, et allons à la messe…

Considérée comme expédient, comme procédé dramatique, cette prédiction est on ne peut plus étrange, et l’on n’en trouverait probablement pas un second exemple dans toute l’histoire du théâtre. Tâchons d’entrer, s’il se peut, dans les motifs et les conséquences d’une fiction si extraordinaire. Par cette fiction, Lope de Vega, s’associant en quelque façon à ses principaux personnages, les a transportés en imagination fort au-delà des limites du drame, dans des relations nouvelles, qui ne sont néanmoins que la conséquence plus ou moins éloignée des relations antérieures établies dans la pièce même ; il a introduit un appendice historique dans une composition dramatique. Les personnages qui apparaissent sous ce nouvel aspect sont Fernando, Dorothée, Theodora sa mère, et Marfise. Le poète laisse de côté don Bela et Gherarda ; ils sont morts dans le simulacre de tragédie qui précède, et Lope n’en avait plus que faire. Du reste, de ceux même qui figurent dans la prédiction, il ne parle que de la manière la plus fugitive et la plus sommaire ;