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LES AMOURS DE LOPE DE VEGA.

Philippa. — Quelle étrange mélancolie !

Dorothée. — J’ai cru qu’il suivait cette dame là-bas, mais il a pris le chemin de dessous. Appelle-le, puisqu’il ne te connaît pas, et voyons ce qu’il nous dira ; je n’ouvrirai pas la bouche.

Philippa. — Oh ! cavalier ! cavalier !

Jules. — Regarde : voilà des dames qui t’appellent.

Fernando. — Laisse là les dames, imbécile ! ce n’est pas là le remède à mon mal.

Philippa. — Noble cavalier, point de discourtoisie !

Jules. — Elles sont sorties de grand matin en quête d’aventure, bien qu’à vrai dire elles n’aient pas l’air de beautés délaissées. Va voir ce qu’elles te veulent.

Fernando. — Ne sais-tu pas que je n’ai plus rien à dire aux femmes ?

Jules. — Cela étant, tu ne guériras point de ton mal… Mon maître dit qu’il ne parle plus aux femmes.

Philippa. — Dis-lui que, si je vais le chercher, je le prends par son manteau et le fais asseoir ici bon gré mal gré.

Jules. — Cette dame est résolue à t’emmener de force. Songe que les femmes suivent qui les fuit, et celle-ci va te poursuivre uniquement parce que tu ne lui réponds pas.

Fernando. — De quoi s’agit-il, madame, et que m’ordonnez-vous ? Sachez que vous êtes la première femme à qui j’aie parlé depuis près de quatre mois.

Philippa. — Et pourquoi cela, mon prince ? Que vous avons-nous fait ?

Fernando. — Les offenses et la trahison d’une seule m’ont fait abhorrer toutes les autres.

Philippa. — Oh ! la belle histoire que nous allons entendre ! Asseyez-vous entre nous deux, et vous ferez deux bonnes choses : vous vous reposerez et nous amuserez.

Fernando. — Pourquoi cette dame ne parle-t-elle pas ?

Philippa. — Elle est brouillée avec les hommes, comme vous avec les femmes.

Fernando. — Si elle abhorre les hommes autant que je déteste les femmes, on pourra de nous deux composer un poison pour en finir avec le monde. Me voilà assis.

Philippa. — Comment vous rendez-vous à la promenade si matin, n’y venant point pour voir les petits souliers et les plumes ?

Fernando. — Je ne dors pas de toute la nuit, je la passe à me débattre contre l’amour le plus stupide et le plus obstiné qui ait jamais régné depuis qu’il y a au monde des fous pour y croire.

Philippa. — Puisque vous nous avez déjà fait la grace de vous asseoir à côté de nous, et puisque nous sommes sûres qu’abhorrant les femmes, vous ne nous importunerez pas de fadaises, vous vous soulagerez vous-même à conter votre histoire, et ceux qui sont malades de votre mal seront charmés de vous écouter.