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LES AMOURS DE LOPE DE VEGA.

scènes ne se rattachent que très faiblement à l’action principale ; mais je ne saurais me dispenser de m’arrêter à la quatrième. Les nombreux détails qu’elle contient, insignifians comme généralités romanesques ou fictions poétiques, ont un sens si vif et si complet comme manifestation de la vie réelle et de la nature humaine, que je ne puis m’empêcher d’y voir des souvenirs personnels. Ludovico, le personnage qui figure avec Fernando dans cette scène, représente indubitablement un ami de Lope de Vega. Au moment de son départ pour Séville, Fernando a fait à Ludovico ses confidences amoureuses, et lui a dit toutes les raisons de ce voyage ; la scène en question doit être regardée comme une suite immédiate de cette confidence déjà ancienne ; elle est fort longue, et l’aperçu qu’elle donne des mœurs de Madrid n’en est pas la partie la moins curieuse.

Ludovico. — Je vous croyais encore à Séville.

Fernando. — Bonjour, Ludovico. Combien je suis charmé de vous rencontrer !

Ludovico. — Je n’aurais jamais cru que vous vous y arrêtassiez si longtemps.

Fernando. — Dieu sait ce que mon séjour m’a coûté d’angoisses !

Ludovico. — Ainsi l’absence n’a pas été pour vous, comme pour tant d’autres amans, le vrai Galien ?

Jules. — Voilà trois mois que nous avons quitté Madrid, de sorte que, si les amours de don Fernando étaient mis en scène, c’en serait fait de nous et des préceptes de l’art, qui n’accordent pas plus de vingt-quatre heures de durée à une pièce, et qui tiennent le changement de lieu pour absurde.

Fernando. — C’est parce qu’elle est véritable, que mon histoire n’admet point ces règles. Aristophane pécha plus gravement que moi (contre l’art) en mettant les grenouilles sur la scène, et Plaute en introduisant les dieux dans son Amphitryon.

Ludovico. — J’ai fait ce dont vous me chargeâtes le jour de votre départ

FernandoFERNANDO. — Avez-vous fait donner à Gherarda le coup de couteau convenu ?

Ludovico. — Non : je savais que vous vous repentiriez de me l’avoir commandé ; mais pour le surplus, je m’en suis acquitté fidèlement. Puisque, étant allé de Séville faire un tour à Cadix et à San-Lucar, vous n’avez pu recevoir mes lettres, apprenez, Fernando, que je portai à Dorothée les papiers que vous me remîtes pour elle. Je la trouvai au lit et en danger de mort, car la nuit même de votre départ elle avait voulu se tuer en avalant un diamant. Elle remit les papiers à Célie, sa suivante, et murmura quelques paroles au sujet de votre injuste résolution, sans pouvoir me cacher les larmes dont elle les accompagna. Je pris congé, et à peu de jours de là je revins la voir ; elle était déjà quitte, bien que faible encore, de la fièvre dont elle avait été assaillie. Je la revis ensuite, convalescente, en pantoufles mignonnes, en cha-