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REVUE DES DEUX MONDES.

Gherarda. — Il ne me reste plus que ces deux-ci. Cette petite bourse a appartenu à une de mes aïeules ; elle contient certains papiers en latin qui devaient faire partie de ses dévotions.

Célie. — Tu as hérité de sa piété, Gherarda.

Gherarda. — Ah ! si je lui ressemblais, que me manquerait-il ? Il lui arrivait d’être trois jours de suite en extase.

Célie. — Sur ses pieds, mère ?

Gherarda. — Non, endormie.

Gherarda. — Quelle sainteté !

Dorothée. — Règles à suivre par un cavalier indien à la cour. — 1o Il s’établira d’abord dans un bon hôtel, en prenant bien garde que personne ne le sache, et dira partout qu’il est logé chez un ami.

2o Il n’invitera jamais personne.

3o Il n’aura point de voiture, afin de n’être pas obligé de la prêter.

4o Il mettra ses domestiques à la ration.

5o Il se fera pauvre, et racontera à tout propos que son argent a péri sur les galions, ou lui a été volé par la flotte de la reine d’Angleterre.

6o Qu’il ne forme point d’amitié intime avec les grands seigneurs, pour qu’ils ne lui demandent pas à emprunter.

7o Avec les dames, qu’il soit libéral de paroles, sans s’exposer au risque de dépenses extravagantes. Qu’il ne devienne point amoureux, car à la cour nul n’est seul à jouir de ce qu’il a conquis.

8o Là où il entend parler tout bas, qu’il prétexte une affaire et s’en aille.

9o Qu’il ne se couche jamais sans avoir dit ou fait une flatterie utile ; c’est la doctrine de la cour. Qu’il ne se lève jamais sans avoir songé aux moyens de conserver ce qu’il possède.

10o S’il veut paraître grand seigneur, qu’il ne paie point ses dettes, ou du moins qu’il tarde tant à les payer, que son créancier en meure de détresse.

Dorothée. — Et c’est là l’homme dont tu me fais l’éloge, mère ?

Gherarda. — Ne vois-tu pas, Dorothée, que ce papier aura été donné à don Bela par quelqu’un de ces charlatans courtiers qui partout entreprennent d’enseigner les novices, de déniaiser les sots, et d’expédier dans toutes les parties du monde des relations et des gazettes ?

Ici Gherarda donne à lire à Dorothée une assez longue pièce de vers de don Bela, chef-d’œuvre de ridicule et de mauvais goût.

Gherarda. — Comment trouves-tu cela ?

Dorothée. — Magnifique.

Gherarda. — Notre don Bela n’est pas, je te l’assure, de ces poètes qui vont toujours en quadrille ; il peut bien aller à part.

Dorothée. — Appelle-le tien s’il te plaît, mère ; mais sa connaissance n’est pas une religion où tout doive être commun.

Gherarda. — Je ne te dis point cela ; je ne veux que louer son esprit.