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personnage. Le fait est pourtant singulier, et il est difficile de le supposer purement accidentel.

À l’âge de dix-sept ans, don Fernando, orphelin et pauvre, a été recueilli par une dame respectable, sa parente éloignée, et chez elle il a lié connaissance avec Marfise, nièce de la dame, jeune personne aussi aimable que belle. Marfise et Fernando se sont à peine vus qu’ils deviennent amoureux l’un de l’autre, et ils vivent parfaitement heureux jusqu’au jour où la nièce est contrainte d’épouser un vieux jurisconsulte. Heureusement le vieillard la laisse bientôt veuve, libre de retourner chez sa tante et pressée d’y retrouver Fernando. Elle l’y retrouve en effet, mais combien changé ! Il a une seconde maîtresse, nommée Dorothée, qu’il aime avec toute l’exaltation de son caractère, et, à vrai dire, cette Dorothée est une véritable enchanteresse, à qui la nature a prodigué tout ce qu’elle peut départir de beauté, de graces et de talens. Dorothée est mariée ; mais son mari n’est embarrassant pour personne : il est en Amérique, où il paraît qu’il est allé faire une fin, et elle vit, en attendant, sous le gouvernement de sa mère et de sa tante, deux vieilles commères de mœurs joyeuses et triviales, peu riches, mais faciles sur les moyens de le devenir. Aussi Dorothée a-t-elle eu déjà plus d’un amant de leur choix. Cependant sa dernière liaison avec Fernando a été libre et plus honorable que les précédentes ; elle a déjà duré cinq années, lorsqu’elle est soumise à de rudes épreuves. Fernando est pauvre, et Dorothée n’est pas riche. Elle avait pour tout capital quelques diamans et quelques bijoux, qu’elle a vendus successivement, et du produit desquels les deux amans ont long-temps vécu ; mais elle n’a plus rien à vendre, et ne sait comment subvenir à leur commune détresse. Tel est néanmoins son amour pour Fernando, qu’elle ne songe pas à le quitter ; elle mourra plutôt. Ses tutrices n’entendent pas l’amour ainsi : elles veulent pour Dorothée des adorateurs qui lui donnent des diamans, au lieu d’un amant pour lequel elle soit obligée d’en vendre. Ce désordre n’est plus tolérable ; elles sont résolues à y mettre fin.

Ici commence le drame ; il s’ouvre par une scène où la mère et la tante, après une ignoble querelle au sujet de Dorothée, se concertent plus ignoblement encore pour la perdre. Gherarda, la tante, la plus habile et la plus perverse des deux, se charge de la partie la plus difficile de la conspiration : elle présentera et fera accepter à Dorothée don Bela, opulent Américain, qui est devenu éperdument amoureux d’elle, et qui a promis de la couvrir d’or, elle et son entourage. Theodora, la mère, intime aussitôt à sa fille, avec des menaces sévères, l’ordre de ne plus voir Fernando. Laissée seule, Dorothée épanche ses douloureuses réflexions dans un monologue fort touchant. Lope y a bien rendu la déplorable situation de Dorothée, jeune personne qui, née avec les inclinations les plus honnêtes, avec les sentimens les plus élevés et l’ame la plus tendre, se trouve livrée à deux infâmes commères qui ne visent qu’à son déshonneur, pour le faire tourner à leur profit.