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LA PEINTURE SOUS LOUIS XV.

— Quelle singulière aventure ! dit Boucher en se passant la main sur le front. Reviendra-t-elle ? Qui donc a pu l’amener ici ? Elle ne m’a rien demandé.

À cet instant, Rosine vint appuyer ses mains jointes sur l’épaule du peintre.

— Elle ne vous a rien demandé ? Dit-elle avec une expression triste et charmante.

Boucher baisa le front incliné de sa maîtresse.

— Rien, dit-il ; c’est une énigme, je m’y perds.

— Hélas ! elle reviendra.

— Qui sait ? Elle devait revenir ce matin. Voilà donc pourquoi elle ne voulait pas être payée pour la première séance.

— Aujourd’hui, je n’aurai garde d’ouvrir la porte.

— Pourquoi ? Quel enfantillage ! Seriez-vous jalouse ?

— Vous êtes bien cruel ! Est-ce que vous irez ouvrir la porte, vous ?

— À coup sûr.

Rosine s’éloigna en soupirant.

— Alors, dit-elle avec des larmes dans les yeux, la porte se refermera sur moi.

Rosine, pleurant d’amour et de jalousie, était d’une beauté adorable ; mais Boucher, par malheur pour elle et pour lui-même, ne voyait que la mystérieuse inconnue.

— Vous ne savez ce que vous dites, Rosine ; c’est de la folie.

Boucher avait parlé un peu durement ; la pauvre fille, blessée au cœur, s’avança vers la porte, et, d’une voix affaiblie, elle murmura un triste adieu. Sans doute elle espérait qu’il ne la laisserait point partir, qu’il viendrait à la porte, qu’il la prendrait dans ses bras et la consolerait par un baiser ; mais il n’en fit rien : il oubliait, l’ingrat, que Rosine n’était pas une fille d’Opéra, il croyait qu’elle faisait semblant comme toutes ces comédiennes sans cœur et sans foi. Rosine ne faisait pas semblant, elle écoutait sa naïve et simple nature ; elle avait donné tout ce qu’elle pouvait donner, plus que son cœur, plus que son ame ; il n’était pas étonnant qu’elle se révoltât d’être aimée si légèrement, comme par hasard. Elle ouvrit la porte, elle se tourna vers Boucher ; un seul regard tendre l’eût ramenée à ses pieds ; il se contenta de lui dire comme il eût dit à la première venue : Ne faites pas tant de façons, je n’aime pas les grands airs.

Ces paroles indignèrent Rosine. C’est fini, dit-elle, et au même instant elle ferma la porte. Le bruit de ses pas vint jusqu’au cœur