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EUPHORION,
OU DE L’INJURE DES TEMPS.

Les Allemands sont assurément les plus admirables travailleurs classiques que l’on puisse imaginer ; depuis qu’ils se sont mis à défricher le champ de l’antiquité, ils ont laissé bien peu à faire pour le détail et le positif des recherches ; ils ont exploré, commenté, élucidé les grandes œuvres ; ils en sont maintenant aux bribes et aux fragmens, et ils portent là dedans un esprit de précision et d’analyse qu’on serait plutôt tenté de leur refuser lorsqu’ils parlent et pensent en leur propre nom. Leur extrême patience, s’appliquant ici à des matières bien définies et à des textes, produit des merveilles. On en est venu, tous les morceaux principaux de l’ancienne littérature ayant déjà trouvé maître, à s’attacher aux moindres miettes, aux moindres noms. D’ingénieux érudits dressent chaque jour l’histoire littéraire des écrivains, là même où précisément cette histoire semble le plus faire défaut ; les poètes grecs ou latins, dont tout le bagage a péri dans le naufrage des temps, retrouvent des investigateurs d’autant plus curieux et presque des sauveurs. On rassemble leurs moindres vestiges, on rapproche et on discute les plus légers témoignages ; la conjecture n’a plus ensuite qu’à jouer et à s’ébattre ; c’est ce qu’il est difficile qu’elle ne s’accorde point à de certains momens.

J’ai sous les yeux un de ces doctes et méritoires écrits, qui, en instruisant beaucoup, ne laissent pas de faire aussi beaucoup penser et rêver. Les Analecta alexandrina, par M. Auguste Meineke[1], sont un assemblage des reliques de quelques poètes alexandrins dont les œuvres ne nous sont point parvenues ; ce sont des commentaires sur Euphorion de Chalcis, sur Rhianus de Crète, sur Alexandre l’Étolien, sur Parthénius de Nicée. Les fragmens d’Euphorion avaient déjà été recueillis par M. Meineke pour la première fois en 1823 ; il donne aujourd’hui l’ouvrage refondu et plus complet. La destinée de ce poète Euphorion a de quoi intéresser. Il était né à Chalcis en Eubée et compatriote de Lycophron. Il vécut à la cour d’Antiochus-le-Grand en Syrie, et fut commis par ce prince à la garde de la riche bibliothèque des Séleucides ; il écrivit toutes sortes de longs poèmes épiques dont on a seulement les titres, des épigrammes, des élégies qui furent célèbres par leur accent de tendresse. Gallus, l’ami de Virgile, les avait traduites ou imitées en vers latins, comme Virgile semble y faire allusion dans la belle églogue où il introduit son ami. L’élégiaque Gallus avait suivi de préférence Euphorion, comme Properce

  1. Chez Jules Renouard, rue de Tournon, 8.