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Enfin la jeune fille sortit de l’allée avec un certain embarras, comme si elle eût commis une mauvaise action. Il avait plu dans la matinée, la rue était presque impraticable pour de jolis pieds. L’inconnue s’enfuit légère comme une chatte du côté du Palais-Royal. Elle s’arrêta devant une maison de pauvre apparence, regarda autour d’elle avec défiance, et disparut sous la porte d’entrée. Rosine l’avait suivie ; la voyant disparaître, elle remarqua la maison, et, n’osant aller plus loin dans sa curiosité, elle se décida à retourner aussi au logis. Mais une main invisible la retenait malgré elle ; il fallait qu’elle regardât à toutes les fenêtres de la maison : un pressentiment l’avertissait qu’elle reverrait l’inconnue. En effet, tout à coup, à sa grande surprise, elle crut la reconnaître qui sortait dans un tout autre costume. Cette fois, la jeune fille était vêtue en grande dame : robe de taffetas à queue qu’elle s’efforçait de mettre dans sa poche, mantelet, talons rouges, tous les accessoires.

— Et où va-t-elle dans cet équipage ? se demanda Rosine, qui la suivait presque pas à pas.

La dame alla droit à un carrosse doré qui l’attendait devant le Palais-Royal. Un laquais se précipita au-devant d’elle pour ouvrir la portière. Elle s’élança dans le carrosse en femme habituée à y monter tous les jours.

— Je l’avais deviné, murmura Rosine ; il y avait dans ses manières, dans sa façon de parler, dans la fierté adoucie de son regard, je ne sais quoi qui m’étonnait. Elle avait beau prendre toutes sortes de masques, on finissait par la reconnaître. — Hélas ! l’a-t-il reconnue, lui ?

Le lendemain, Rosine se fit un peu attendre ; cependant le cruel ne lui dit pas, en la revoyant, ce doux mot qui console les absens, absens du cœur ou de la maison : Je vous attendais.

— Eh bien ! lui dit-elle après un silence, vous ne me parlez pas de votre grande dame ?

— Ma grande dame ? Je ne comprends pas.

— Vous ne l’avez donc pas deviné ? Ce n’était pas une fille du peuple, comme elle le disait, mais une belle dame, qui n’a pas grand’chose à faire. Je l’ai vue monter dans son carrosse. Quel carrosse ! quels chevaux ! quels laquais !

— Que dites-vous là ? Vous voulez me tromper ; c’est un mensonge.

— C’est la vérité. Croyez donc maintenant à ces grands airs d’innocence !