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réserve, nous inquiètent. Qu’y avait-il là-dessous ? Dédain du soldat parvenu, mouvement de fille bien née ? M. Meneval dit positivement le contraire. Absence de sympathie, défaut d’accord dans l’esprit et le caractère, invincible timidité, froideur naturelle ? On ne sait trop que penser après avoir lu, si ce n’est que Marie-Louise avait toutes les qualités purement négatives de son âge et de son sexe : une grande défiance d’elle-même, la peur bien enracinée de l’esprit français, un grand goût pour la solitude, nul besoin de confiance ou d’abandon, nul penchant, même avec ses plus intimes serviteurs, à la familiarité confiante que peuvent légitimement rechercher les princes.

Elle passait les heures libres de sa journée à prendre des leçons de musique ou de peinture, ou bien près de son fils, occupée à des travaux d’aiguille. Elle était économe, et charmait l’empereur, peu fait à de pareils scrupules, par sa retenue en matière de toilette. Elle devait n’y rien perdre, il est vrai, si nous en jugeons par l’histoire de cette parure en rubis qui devait coûter 46,000 francs et qu’elle rendit au joaillier, la trouvant trop chère. L’empereur l’apprit, et en commanda une toute pareille, mais du prix de 400,000 francs.

En revenant sur ces quatre ans, il est difficile d’apprécier la part que Marie-Louise avait pu faire à son époux dans des affections à peine exprimées. Quant au reste des personnes à qui elle pouvait témoigner une flatteuse préférence, il semble qu’elle ait seulement distingué la duchesse de Montebello, cette beauté froide, rigide, que l’empereur avait présentée à Marie-Louise en lui disant : « Je vous donne une véritable dame d’honneur.

À l’occasion de la visite que l’impératrice fit à Dresde lorsque Napoléon allait se mettre à la tête de la grande armée, M. Meneval, oubliant cette fois sa réserve habituelle, nous livre avec une amertume mal déguisée le rapprochement que voici : « Il se trouvait, à la suite de l’empereur d’Autriche, en qualité de chambellan, un personnage déjà illustré par des commandemens militaires et par des missions diplomatiques, mais inaperçu dans cette foule royale et princière : c’était le général comte Neipperg. Là l’impératrice le vit pour la première fois, sans le remarquer, en se rendant avec l’empereur à la salle de spectacle ; elle lui adressa quelques mots, parce qu’il se trouvait sur son passage… »

Le 29 mai, l’empereur quitta Dresde. Le 18 décembre, il rentrait à l’improviste dans son palais des Tuileries. La campagne de Russie était entre ces deux dates. Il n’avait pas fallu plus de six mois pour dévorer cette grande armée de cinq cent mille hommes qu’il avait menée jusqu’à Moscou.

M. Meneval avait eu sa part des désastres de la campagne, et sa santé, gravement compromise, ne lui permettait plus de continuer le rude service qu’il avait fait jusqu’alors auprès de l’empereur. Aussi fut-il placé en convalescence auprès de Marie-Louise, quand la régence fut organisée. Il avait le titre de secrétaire des commandemens, et, dans l’ordre de service rédigé à cette occasion, c’est à lui que revient le soin de mettre en rapport, au sujet de toute affaire secrète, les ministres et l’impératrice régente.

Il assista, revêtu de ces fonctions confidentielles, à la décomposition inté-