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REVUE LITTÉRAIRE.

paix d’Amiens, attaché au premier consul. Tel fut du moins le titre que Bonaparte voulait lui voir prendre, se souciant peu d’avoir ce qu’on avait appelé jusqu’alors un secrétaire intime. Bourienne l’en avait dégoûté.

On a dit des héros qu’ils n’existaient point pour leurs intimes ; mais rien n’est moins propre à confirmer ce vieux proverbe que la lecture du livre de M. Meneval. Après trente ans, son admiration pour l’empereur est encore aussi vive qu’elle pouvait l’être au moment même où il assistait chaque jour à l’élaboration prodigieuse de cette intelligence sans pareille. Dans ce cabinet où il nous introduit, rien n’a choqué ses regards, rien n’a diminué son étonnement, rien n’a contrarié l’affection respectueuse qu’il ne tarda pas à ressentir pour son maître et celui de la France. Ce serait encore un étonnement pour nous que cette vénération complète, cette apologie constante et universelle, si nous n’avions d’autres exemples de cette merveilleuse faculté de séduction dont la nature et la fortune avaient investi le grand empereur. Si ce n’est au collége, il l’exerça partout : partout il réussit, nonobstant les aspérités d’une humeur ambitieuse, les caprices d’une nature expressive et difficilement domptée, à s’emparer des hommes, à les dominer selon ses besoins, à leur faire une religion du dévouement, une gloire et un bonheur de la plus complète servitude. Sur une moindre échelle, on trouve des hommes, mais surtout des femmes, investis de ce pouvoir, incompatible, quoi qu’on en dise, avec une entière franchise. M. Meneval serait peut-être bien étonné, si quelque démon malin lui prouvait qu’il a été l’objet des coquetteries de Napoléon ; cependant nous n’avons pas encore ouvert un seul de ces livres innombrables où l’intimité du grand homme est minutieusement décrite, sans garder cette impression très nette qu’il a joué, toute sa vie, une très longue et très fatigante comédie. Chacun connaît ses feintes fureurs ; mais la plupart de ceux qu’il a voulu s’attacher ont été dupes de ces feints épanchemens masqués de brusquerie et de familiarité. M. de Talleyrand et Fouché l’ont seuls déjoué, caressant ou colère, par leur imperturbable sang-froid, et le mépris, — singulier mot, mais plus vrai qu’on ne pense, — dans lequel ils tenaient ce masque imposant, cet acteur terrible et souverain.

MM. Meneval et Fain se conformèrent d’instinct au rôle qu’il leur avait assigné. Tous deux étaient modérés dans leur ambition, exacts et scrupuleux dans l’accomplissement de leur devoir, respectueux dans leur curiosité, discrets et retirés dans leur vie, « si retirés, dit quelque part l’empereur, qu’il est des chambellans qui, après avoir servi quatre ans au palais, ne les avaient jamais vus. »

Par là ils méritaient cette confiance qui n’était jamais sans réserve, et que Napoléon sentait quelquefois le besoin de mettre en quarantaine, le mot est de lui. Ce qu’il entendait par là, nous le voyons clairement dans le récit de l’espèce d’algarade qu’il fit à M. Meneval trois ans après son entrée au cabinet. Le travail était alors excessif. Le jeune secrétaire se dédommageait par quelques plaisirs de son assiduité forcée. C’étaient des bals à l’Opéra, où le