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REVUE DES DEUX MONDES.

Grands écoliers riant de leurs vieux professeurs.
Si le même conseil préside aux beaux ouvrages,
La forme du talent varie avec les âges,
Et c’est un nouvel art que dans le goût présent
D’offrir l’éternel fond antique et renaissant.
Tu l’aurais su, Boileau ! Toi dont la ferme idée
Fut toujours de justesse et d’à-propos guidée,
Qui d’abord épuras le beau règne où tu vins,
Comment aurais-tu fait dans nos jours incertains ?
J’aime ces questions, cette vue inquiète,
Audace du critique et presque du poète.
Prudent roi des rimeurs, il t’aurait bien fallu
Sortir, chez nous, du cercle ou ta raison s’est plu.
Tout poète aujourd’hui vise au parlementaire ;
Après qu’il a chanté, nul ne saura se taire :
Il parlera sur tout, sur vingt sujets au choix ;
Son gosier le chatouille et veut lancer sa voix.
Il faudrait bien les suivre, Ô Boileau, pour leur dire
Qu’ils égarent le souffle où leur doux chant s’inspire,
Et qui diffère tant, même en plein carrefour,
Du son rauque et menteur des trompettes du jour.


Dans l’époque, à la fois magnifique et décente,
Qui comprit et qu’aida ta parole puissante,
Le vrai goût dominant, sur quelques points borné,
Chassait du moins le faux autre part confiné ;
Celui-ci hors du centre usait ses représailles ;
Il n’aurait affronté Chantilly ni Versailles,
Et, s’il l’avait osé, son impudent essor
Se fût brisé du coup sur le balustre d’or.
Pour nous, c’est autrement : par un confus mélange
Le bien s’allie au faux, et le tribun à l’ange.
Les Pradons seuls d’alors visaient au Scudery :
Lequel de nos meilleurs peut s’en croire à l’abri ?