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LA FONTAINE DE BOILEAU.

Nous allions, repassant par ton même chemin
Et le reconnaissant, ton Épître à la main.
Moi, comme un converti, plus dévot à ta gloire,
Épris du flot sacré, je me disais d’y boire :
Mais, hélas ! ce jour-là, les simples gens du lieu
Avaient fait un lavoir de la source du dieu,
Et de femmes, d’enfans, tout un cercle à la ronde
Occupaient la naïade et m’en altéraient l’onde.
Mes guides cependant, d’une commune voix,
Regrettaient le bouquet des ormes d’autrefois,
Hautes cimes long-temps à l’entour respectées,
Qu’un dernier possesseur à terre avait jetées.
Malheur à qui, docile au cupide intérêt,
Déshonore le front d’une antique forêt,
Ou dépouille à plaisir la colline prochaine !
Trois fois malheur, si c’est au bord d’une fontaine !


Était-ce donc présage, ô noble Despréaux,
Que la hache tombant sur ces arbres si beaux
Et ravageant l’ombrage où s’égaya ta muse ?
Est-ce que des talens aussi la gloire s’use,
Et que, reverdissant en plus d’une saison,
On finit, à son tour, par joncher le gazon,
Par tomber de vieillesse, ou de chute plus rude,
Sous les coups des neveux dans leur ingratitude ?
Ceux surtout dont le lot, moins fait pour l’avenir,
Fut d’enseigner leur siècle et de le maintenir,
De lui marquer du doigt la limite tracée,
De lui dire où le goût modérait la pensée,
Où s’arrêtait à point l’art dans le naturel,
Et la dose de sens, d’agrément et de sel,
Ces talens-là, si vrais, pourtant plus que les autres
Sont sujets aux rebuts des temps comme les nôtres,
Bruyans, émancipés, prompts aux neuves douceurs,