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du phénomène dans une sorte de vertige contagieux. « Je veux bien, dit-il dans une proclamation adressée aux coupables, je veux bien, en bon père, en homme qui sait compatir à la déraison, et qui sait beaucoup pardonner, n’attribuer ce qui est arrivé, ce que vous avez osé, qu’à des malentendus ou à une fausse interprétation de mes désirs. » Partagé entre son rôle de souverain et sa vanité d’utopiste, il ne sait s’il doit maintenir ou sacrifier ses plans de réforme. Pendant deux ans, une alternative de concessions et de rigueurs entretient la fermentation dans les Pays-Bas. Enfin, le 7 janvier 1790, l’acte d’union qui constitue la république des Provinces-Unies Belgiques est irrévocablement signé à Bruxelles, dans une assemblée qui réunit les députés de toutes les provinces insurgées. Par contre-coup éclatait en Hongrie un mécontentement long-temps comprimé. La main sur le sabre, les magnats réclamaient fièrement les priviléges féodaux, les anciennes coutumes, l’habit national, le langage de la vieille patrie. Pour comble d’infortune, Joseph éprouva bientôt qu’il ne devait pas plus compter sur le secours des souverains étrangers que sur la coopération de ses sujets allemands. Un découragement amer développa en lui le germe d’un mal mortel. Sentant faiblir, non pas ses convictions, mais l’énergie de sa volonté, il fléchit devant la révolte, et rapporta les fatales ordonnances. La noblesse hongroise se tint pour satisfaite : quant à la Belgique, il était trop tard ; déjà elle était englobée dans ce cercle brûlant où bouillonnaient les idées françaises. L’héritage de la maison d’Autriche était définitivement démembré : le fils de Marie-Thérèse sentit qu’il ne survivrait pas à cette humiliation. « La Belgique m’a tué ! s’écria-t-il avec désespoir, parce que j’ai voulu lui donner ce que les Français demandent à grands cris. » Dès-lors, en effet, commença l’agonie qui devait le conduire au tombeau. À la manière dont M. Paganel retrace ces douloureux momens, on sent l’historien qui aime son héros et veut le faire aimer. Les dernières pages, dont le ton sévère et discret inspirent le recueillement de la tristesse, forment un tableau attendrissant, digne du prince qui osait dire, en rendant à Dieu son dernier souffle : « Comme homme et comme souverain, je crois avoir rempli mon devoir. »

On appréciera, d’après ce rapide aperçu, la portée du livre de M. Paganel. Il mérite d’être recommandé comme une initiation aux études nécessaires pour connaître la monarchie autrichienne. Une introduction retraçant les merveilleuses destinées de la maison d’Autriche, depuis son humble éclosion au XIIIe siècle jusqu’au règne de Marie-Thérèse, est un travail exact et judicieux qui résume heureu-