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POLITIQUE FINANCIÈRE DE L’AUTRICHE.

fut condamnée à l’isolement et à l’inaction. Vainement il prétendit au droit commun, au devoir de tous, à l’honneur de tirer l’épée pour son pays. Sa mère opposa à sa bouillante ardeur un refus glacial, inexplicable. Blessé par cette insouciance, l’archiduc se concentra en lui-même : il attendit. À la mort de son père, il fut appelé par bienséance au partage de l’autorité impériale ; mais, chargé seulement de l’administration militaire, il n’exerça aucune influence décisive. Son émancipation date seulement de la mort de Marie-Thérèse.

À la nouvelle de ce changement, le vieux roi de Prusse fit placer dans son cabinet le portrait du prince qui était devenu son rival, en disant : « Voici un jeune homme qu’il ne faut pas perdre de vue. » Cette boutade du malicieux Frédéric caractérisait à merveille le nouveau chef de l’empire. Joseph avait été associé depuis quinze ans à la dignité souveraine, sans cesser d’être maintenu dans la plus étroite dépendance. Jamais on n’avait permis que son impétuosité naturelle s’évaporât dans l’abandon des folles années ; de sorte qu’à trente-neuf ans, lorsque sa jeunesse comprimée jusqu’alors fit une éruption soudaine, il présenta le plus bizarre mélange d’étourderie juvénile et de morgue officielle, de philosophisme sentimental et d’inflexibilité despotique. Plein des préjugés du rang suprême, il semble se faire un point d’honneur de heurter les préjugés des classes subalternes. Ses intentions sont loyales, sa bienfaisance est sincère ; mais, dans son impatience de réaliser ce qu’il croit être le bien, il ne tient compte ni des intérêts consacrés par le temps, ni des habitudes que les peuples sacrifient plus difficilement encore que leurs intérêts. « Pour lui, a dit M. Paganel avec sa concision expressive, concevoir, exécuter, c’est une seule et même chose. » Son rêve favori est de composer avec les élémens les plus divers une nation homogène. Il a hâte de faire disparaître les différences de langage, la bigarrure des coutumes, l’opposition des provinces, les caprices du privilége. Prenant la plume, sans se demander si la fusion des races peut être opérée par ordonnance, il commande l’usage exclusif de la langue allemande à tous les sujets autrichiens, qui parlent plus de vingt idiomes différens. Marie-Thérèse, pénétrée de cette bienveillance qui est l’habileté du trône, s’était montrée fort circonspecte dans ses réformes, surtout à l’égard de la noblesse et du clergé. Le fougueux Joseph ne connaît pas les ménagemens. Il décrète coup sur coup l’abolition des servitudes féodales, l’égalité de ses sujets devant la loi, l’égale participation de toutes les classes