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soin avec lequel le Port-Egmont n’était désigné que comme une possession de la couronne, pour éloigner toute discussion sur la question de droit, pouvait laisser pressentir que le gouvernement était prêt à faire des concessions plutôt que d’encourir les conséquences d’une déclaration nette et ferme. Il était permis de croire sans témérité que le cabinet se contenterait du simple désaveu de la conduite de don Buccarelli, et l’accepterait comme une satisfaction suffisante. C’était donner trop beau jeu à l’opposition. Aussi le discours du trône fut-il suivi de violens débats dans les deux chambres du parlement. Le discours qui fit le plus d’impression fut celui de lord Chatham dans la chambre haute. Il attaqua avec passion la marche suivie par le ministère dans les négociations avec l’Espagne, et s’efforça de montrer que le désaveu de la conduite du gouverneur de Buenos-Ayres offert par la cour de Madrid était une réparation insuffisante de l’insulte faite à la Grande-Bretagne. Malgré sa brûlante éloquence, secondée dans les deux chambres par une opposition nombreuse, aucune résolution ne fut prise par le parlement qui liât le cabinet, ou lui prescrivît la marche qu’il devait suivre.

Cependant le chargé d’affaires britannique à Madrid tentait vainement d’obtenir du gouvernement espagnol une réponse plus satisfaisante. Après le rejet de ses premières propositions, le cabinet de Madrid avait réclamé, en vertu du pacte de famille, l’appui de la France, et M. de Choiseul avait promis à l’Espagne les secours d’une active coopération. Aussitôt il fut résolu à Madrid, dans un conseil extraordinaire, que le prince de Maserano renouvellerait l’offre qu’il avait faite précédemment, et que, si cet ultimatum était rejeté, l’Espagne préviendrait l’Angleterre et commencerait les hostilités. L’intervention de la France compliquait la situation d’une manière fâcheuse pour l’Angleterre. Une guerre avec la maison de Bourbon d’Espagne réunie à celle de France paraissait inévitable, quand tout à coup, par une de ces révolutions paisibles qu’offrent seuls les états despotiques, Louis XV renvoya le duc de Choiseul de ses conseils. C’était le fruit des cabales de la nouvelle favorite et de ses amis, que le duc de Choiseul avait eu le tort, grave dans un courtisan aussi souple et aussi adroit que ce ministre, de compter pour peu de chose. Le cabinet anglais reçut avec étonnement et la nouvelle de la chute du tout-puissant ministre et l’assurance que l’intervention de la cour de Versailles se réduirait à une médiation pacifique. En effet, une lettre de la main de Louis XV avait fait connaître au roi d’Espagne qu’il était résolu à ne pas rompre avec l’Angleterre. Alors la