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LES ÎLES FALKLAND.

conseillaient à lord North, alors à la tête du cabinet, de tenter un accommodement pacifique. L’occupation du Port-Egmont lui paraissait peu mériter d’être le sujet d’une rupture avec l’Espagne. À cette époque, aux yeux de tout esprit raisonnable et impartial, les îles Falkland ne pouvaient être qu’une possession sinon inutile, au moins peu importante, et ne devant avoir une valeur réelle que dans un avenir éloigné. Fallait-il, pour un si mince objet, compromettre la fortune de l’Angleterre, et livrer le commerce et la prospérité publique, aux désastreuses conséquences d’une guerre maritime et continentale ? D’un autre côté, l’état de faiblesse du pays défendait de lancer l’Angleterre dans des entreprises qu’elle ne pouvait poursuivre sans courir à un épuisement fatal. Immédiatement après la communication du prince de Maserano, des ordres avaient été donnés d’armer la flotte et de faire des levées de matelots. On découvrit alors que, par suite de l’anarchie qui travaillait le pays depuis dix ans, le désordre qui régnait dans les plus hautes régions du gouvernement s’était glissé dans toutes les parties de l’administration ; la marine, abandonnée à des agens subalternes, avait été négligée ; les fonds destinés à son entretien avaient été détournés de leur emploi et dilapidés. Dans la discussion des hautes questions constitutionnelles soulevées par l’affaire de Wilkes, les ressorts du gouvernement s’étaient détendus, un esprit d’indépendance avait pénétré dans les classes inférieures, et partout on élevait de sérieux obstacles à l’enrôlement des matelots par la presse. L’opinion publique, échauffée par un long intervalle de troubles où le gouvernement n’avait pas toujours eu l’avantage, égarée par les discours et les écrits des factieux et des candidats au ministère, se méprenait volontiers sur les sentimens de lord North. Toujours prête à soupçonner les intentions du cabinet, elle incriminait sans distinction tous ses actes. En un mot, l’Angleterre était sans flotte, sans matelots, avec des arsenaux dépourvus, et des ministres n’ayant ni force ni crédit dans le pays.

Le cabinet n’était donc pas coupable de ne s’avancer qu’avec prudence dans une voie aussi périlleuse que pouvait l’être, en de pareilles conjonctures, une guerre avec l’Espagne, assurée de l’appui de la France, tandis que l’Angleterre était sans alliances continentales. D’un autre côté, la réserve excessive avec laquelle le discours du trône avait été rédigé ; l’attention minutieuse apportée au choix des expressions, tout montrait que lord Nortlh craignait d’irriter la cour de Madrid, et de se fermer tout accommodement pacifique. Le