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bres assemblées, le roi disait que « par un acte du gouverneur de Buenos-Ayres, qui s’était emparé par la force d’une de ses possessions, l’honneur de la couronne et la sécurité des droits de son peuple avaient été profondément affectés, mais qu’il n’avait pas manqué d’exiger immédiatement la satisfaction qu’il avait droit d’attendre de la cour d’Espagne, et de faire les préparatifs nécessaires pour se mettre en état de se rendre lui-même justice dans le cas où sa réclamation ne serait pas accueillie. » Comme on voit, malgré le langage ferme et convenable qu’il tenait dans les négociations avec la cour de Madrid, le cabinet anglais s’abstenait, vis-à-vis du parlement, de faire intervenir directement l’Espagne dans cette question : à l’entendre, il ne s’agissait que d’un sujet de plainte contre un gouverneur indiscret. Il ne rapetissait ainsi la question entre les deux puissances que pour se ménager une plus grande latitude dans l’arrangement qui se traitait, sans s’apercevoir que cet excès de prudence autorisait ses adversaires à prétendre qu’il sacrifiait honteusement les intérêts du pays et l’honneur de la couronne, plutôt que de courir les hasards d’une guerre nécessaire, mais qui pouvait amener sa chute. Était-il permis en effet de réduire un si grave différend à de si mesquines proportions ? Pouvait-on ne voir dans l’expédition dirigée contre le Port-Egmont que l’acte d’un gouverneur outrepassant ses pouvoirs par excès de zèle, et un plan si bien conçu, exécuté avec tant de prudence, avait-il pu être entrepris sans l’approbation de la cour d’Espagne[1] ?

La vérité est que le ministère désirait éviter la guerre. Ce n’était ni la timidité ni l’égoïsme, c’était plutôt une sage prévoyance, et la connaissance des moyens et des ressources de l’Angleterre, qui

  1. Aussi l’énergique et brutal Junius, révolté de cet abus de mots, s’écriait, dans sa lettre du 30 janvier 1771 : « M. Buccarelli n’est pas un pirate et n’a pas été traité comme tel par ceux qui l’ont employé. Je sens ce qu’exige l’honneur d’un galant homme, quand j’affirme que notre roi lui doit une réparation éclatante. Où s’arrêtera donc l’humiliation de notre pays ? Un roi de la Grande-Bretagne, non content de se mettre de niveau avec un gouverneur espagnol, s’abaisse jusqu’à lui faire une injustice notoire. Pour sauver sa propre réputation, il ne craint pas de diffamer un brave officier et de le traiter comme un brigand, lorsqu’il sait, de science certaine, que M. Buccarelli a agi conformément aux ordres qu’il a reçus, et qu’il n’a fait absolument que son devoir. C’est ainsi qu’il en arrive dans la vie privée avec un homme qui n’a ni courage ni honneur. Un de ses égaux ordonne à un domestique de le frapper. Au lieu de rendre le coup au maître, cet homme se contente bravement de lancer une imputation calomnieuse contre la réputation du serviteur. »