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C’est dans ces conjonctures que le gouvernement anglais forma le projet de fonder un établissement dans les îles Falkland. Il est évident que cet établissement, par sa position géographique à l’entrée du détroit de Magellan et si près des possessions espagnoles, était destiné, dans la prévision d’une rupture plus ou moins éloignée, à devenir un point de ralliement pour toutes les entreprises qui pourraient être tentées dans les mers de l’Amérique du Sud, et devait, en attendant, servir d’entrepôt au commerce libre ou illicite, selon les circonstances. La cour de Madrid s’émut de ces desseins, si ouvertement hostiles, de l’Angleterre. Elle réclama hautement contre cette entreprise, qui violait la paix récemment conclue, et posa, comme condition de la reprise des négociations un moment interrompues, l’abandon de ce projet. Le gouvernement anglais ne s’était pas remis encore du choc terrible que lui avait fait éprouver la chute de sir Robert Walpole. Entre les mains du timide Pelham, il était sans force comme sans autorité dans le pays. Le ministère, formé des élémens les plus hétérogènes, avait besoin, pour se maintenir au pouvoir, de repos et d’inaction au dehors ; ce qui lui importait plus que la grandeur future de l’Angleterre, c’était de conclure un traité de commerce avec l’Espagne, qui remplît l’attente si long-temps déçue du pays : aussi céda-t-il honteusement, se flattant de la vaine et trompeuse espérance que la cour de Madrid lui saurait gré de cette concession.

Cependant les relations du commodore Anson sur les îles Falkland s’étaient répandues dans le monde. Le tableau séduisant qu’il avait présenté de cet archipel et des avantages qu’on en pouvait tirer, avait frappé l’attention d’un marin intelligent, M. de Bougainville. À la suite du traité de 1761, qui ratifia la conquête faite par les Anglais des possessions françaises sur les deux rives du Saint-Laurent et sur les bords de l’Océan atlantique, plusieurs familles de l’Acadie, ne voulant pas subir le joug d’une domination étrangère, avaient abandonné leurs foyers, et s’étaient réfugiées en France, où elles étaient à la charge du gouvernement. M. de Bougainville proposa de les établir dans les îles Falkland. La France n’était pas si étrangère à ces mers lointaines qu’on pourrait le croire aujourd’hui. Jusqu’à la paix d’Utrecht, elle avait eu le monopole de la fourniture des nègres pour les possessions espagnoles dans l’Amérique du Sud. Ce privilége lui avait permis de former avec ces riches colonies des relations légitimes et étendues dont le souvenir s’est conservé dans plusieurs de nos ports de l’Océan. Depuis que ce monopole était tombé