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du Nouveau-Monde. Les rapports du commodore Anson, empreints d’une certaine exagération, furent reçus avec un vif intérêt, et déterminèrent le gouvernement à fonder dans les îles Falkland un poste à la fois militaire et commercial. Deux vaisseaux furent équipés et allaient mettre à la voile, lorsque les réclamations du cabinet de Madrid firent abandonner ce projet. Pour expliquer cette intervention inattendue de l’Espagne, il faut reprendre les choses de plus haut.

On sait qu’après la découverte du Nouveau-Monde, le pape Alexandre VI en donna la propriété à Ferdinand-le-Catholique. En vertu de cette étrange investiture, l’Espagne s’arrogea la souveraineté de tout le continent américain, des îles adjacentes et des mers qui les baignent, à l’exclusion des sujets des autres nations. Tant que l’Espagne conserva sa puissance maritime, elle maintint en fait ce privilége et entrava toutes les tentatives que firent les autres gouvernemens de l’Europe pour s’établir ou commercer en Amérique. Sous les faibles successeurs de Philippe II, la cour de Madrid ne se relâcha en rien de ses prétentions, quoique la force lui manquât pour les faire respecter, et que les colonies fondées par les Anglais, les Français et les Hollandais sur le continent américain et dans les Antilles en prouvassent chaque jour la ridicule vanité. De toutes les nations de l’Europe, les Anglais se montrèrent les plus opiniâtres à disputer à l’Espagne ce droit illusoire de souveraineté absolue. Celle-ci prétendait d’ailleurs fortifier la validité du titre fondé sur l’investiture papale par le droit de découverte antérieure. C’est sur ce terrain que l’Angleterre se plaça. Assurément les Espagnols avaient fait de vastes et hardies explorations dans les mers qui entourent le nouveau continent ; mais la cour de Madrid avait pour principe de tenir secrètes les découvertes de ses navigateurs, afin de s’en assurer tous les avantages. Les Anglais, les Hollandais, les Français, au contraire, s’empressaient de faire connaître les résultats de leurs expéditions. Aussi, lorsque, dans le XVIe siècle et plus tard, des disputes s’élevèrent entre l’Espagne et l’une ou l’autre de ces puissances, touchant la propriété d’une partie du continent américain en vertu du droit de découverte première, le gouvernement espagnol ne put-il produire à l’appui de ses prétentions que des assertions vagues, des relations manuscrites inconnues, et des cartes d’une authenticité fort contestable, à l’encontre de preuves évidentes, renfermées dans des relations de voyages depuis long-temps imprimées, publiques, et dont il était difficile de contester la bonne foi.

La cour de Madrid comprit qu’elle ne pouvait lutter sur ce terrain,