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MISÉ BRUN.

personnes de notre condition, et, quand votre chignon ne serait pas plus gros qu’une noix, vous n’en seriez que mieux coiffée. Ainsi, croyez-moi, mettez les ciseaux là-dedans et coupez ras ; il vous restera toujours bien assez de cheveux.

Pendant cette mercuriale, la jeune femme s’était hâtée de rouler ses cheveux sous une coiffe et de mettre un déshabillé fond blanc à grands ramages bleus, qu’elle ne tirait de l’armoire que pour les bonnes fêtes ; ensuite elle couvrit ses épaules d’un mantelet qui laissait à peine deviner la perfection de sa taille. — Allons, ma tante, me voilà prête, dit-elle en se rangeant pour donner le pas à misé Marianne. Madeloun attendait au bas de l’escalier, les mains croisées sous les bouts de son fichu et son rosaire dans la poche. — Voilà le dernier coup qui sonne, dit-elle ; mais c’est égal, nous arriverons avant le premier évangile, et la messe sera encore bonne.

Les trois femmes sortirent ensemble. Il n’y avait absolument personne aux environs de la maison, et les rues qui conduisent à la cathédrale étaient à peu près désertes. Misé Brun ne remarqua pas que quelqu’un la suivait de loin. Il n’y avait pas grand monde non plus dans la vaste église de Saint-Sauveur ; quelques femmes dévotes, quelques servantes matinales, étaient agenouillées dans la nef de corpus Domini, à l’entrée d’une chapelle sombre où un capucin disait la première messe. Misé Brun se prosterna sur les dalles et tâcha de lire son missel avec recueillement et dévotion ; mais un souvenir rebelle restait au fond de sa pensée, troublait sa prière, et la rejetait dans les ardentes rêveries qui avaient tenu ses yeux ouverts toute la nuit. L’insomnie, les émotions inaccoutumées auxquelles elle était en proie depuis la veille, avaient agi profondément sur sa délicate organisation ; elle était sous l’influence d’une singulière excitation morale et d’un accablement physique contre lequel sa volonté luttait en vain. Ses sens émoussés ne transmettaient plus à son esprit que des perceptions imparfaites ; tout s’effaçait de sa mémoire, tout disparaissait à ses regards ; elle oubliait que le prêtre était à l’autel et misé Marianne à son côté. Pourtant l’exercice de toutes ses facultés n’était pas entièrement suspendu comme dans le sommeil ; elle respirait avec une sorte de ravissement le parfum d’encens et de fleurs répandu dans l’atmosphère, et les bruits harmonieux qui résonnaient par momens sous les voûtes sonores de la vieille église la faisaient tressaillir ; elle ne dormait ni ne veillait, elle était dans une disposition qui participait à la fois du rêve et de l’extase.

Bientôt ses paupières brûlantes s’abaissèrent, le livre d’heures