style, varient, dit-il, selon les lieux, les temps, le régime politique, et la politesse, la réserve, cet art de se gêner et de composer son air et ses discours, qui sont un fruit de la dépendance, ne pouvaient pas se trouver dans la république si peu disciplinée des Athéniens. Ainsi le but le plus prochain de ces pièces, qui était d’agir sur l’opinion publique et sur les affaires du moment, mettait le poète à peu près dans la même situation que l’orateur, le forçant de s’identifier d’abord aux sentimens de l’auditoire pour l’attirer à lui, de se faire le complice de ses passions pour les conduire, de frapper fort plutôt que juste, parce qu’il s’adressait au peuple, qui ne voit que par l’imagination. De là ces étranges invectives, ces épithètes et ces sobriquets injurieux qui nous révolteraient aujourd’hui, mais que fulminaient Démosthène contre Phiippe, Cicéron contre Verrès ou Antoine, saint Basile contre l’empereur Julien ; c’était une partie de la rhétorique d’alors. L’ancienne comédie était, nous le répétons, un pamphlet représenté sur le théâtre. Or, qu’arrive-t-il du pamphlet, sous un régime non pas de liberté légale, mais de licence absolue ? Il arrive, et nous en savons quelque chose, que la personnalité, la calomnie, l’outrage, y font leur place de plus en plus large, et finissent par absorber toute la discussion ; car le peuple procède par imagination plutôt que par jugement, et il lui faut des raisons concrètes, des faits palpables, vrais ou faux, mais vigoureusement qualifiés. Or, à ces époques, il n’est pas facile à la raison élevée et sérieuse de soutenir une telle concurrence ; alors il arrive dans la littérature ce que nous voyons dans le commerce : c’est que, les produits falsifiés étant toujours préférés, quoique malsains, par la sottise publique, à cause de leur bas prix, les marchands honnêtes se trouvent réduits à imiter les fripons. Il en résulte une littérature d’un caractère spécial, qui fleurit aux époques de désorganisation et de démocratie absolue. Qu’importent alors la forme, la vraisemblance, la suite, l’unité ? Qu’importe à Aristophane que ses personnages soient des guêpes, des oiseaux ou des hommes, pourvu que le peuple s’en amuse, et qu’à la faveur de ces travestissemens Cléon, Clisthène, Cléonyme, Hyperbolus, le sénat, le peuple lui-même et les dieux reçoivent des écorchures dont ils porteront long-temps la cicatrice ?
Cette situation devait nécessairement à la longue étouffer l’art, qui veut l’air libre pour s’élever, et que le joug des caprices populaires retenait trop bas. Le jour vint enfin où la démocratie d’Athènes fut vaincue par Lacédémone. La réaction fut violente en politique, mais l’art en profita. La loi défendit à la comédie de mettre en