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ARISTOPHANE.

humaines, et que son beau talent déclinait vers ce genre que nous avons appelé mélodramatique, et qui s’adresse plus aux sensations du peuple qu’à l’émotion plus épurée des esprits cultivés. C’est dans ce sens qu’il attaque Euripide ; il lui oppose sans cesse la grandeur d’Eschyle et la majesté de Sophocle, et sa critique, quoique acerbe à cause de certains ressentimens personnels, est parfaitement sage et juste dans son principe.

Il y aurait beaucoup à dire sur la critique philosophique du poète telle que nous l’offrent les Nuées, cette fameuse comédie contre Socrate, à laquelle on a reproché d’avoir causé le procès et la mort du philosophe ; accusation injuste, car la pièce était faite vingt ans avant cet évènement et fut mal accueillie. Aristophane ne cherche qu’à ridiculiser la dialectique de Socrate, les recherches scientifiques qui ébranlaient le culte, la philosophie qui osait scruter les principes de la morale. Lui, Aristophane, si hardi à saper, si universel dans sa critique, il blâme ici la même tendance dans les philosophes comme funeste aux mœurs et à l’état. Était-ce l’effet d’une de ces réactions si fréquentes dans l’histoire des pensées humaines, un de ces retours de l’esprit progressif qui s’effraie parfois du chemin qu’il a fait, parce qu’il ne voit plus où cela le mène ? Quoi qu’il en soit, si on examine la pièce sans préoccupation, dans sa contexture générale et dans l’esprit des principales scènes, on verra que ce qui a surtout frappé Aristophane, c’est le danger de la méthode critique dans l’éducation de la jeunesse. L’esprit humain commence par croire ; l’esprit individuel se forme en croyant, c’est-à-dire en se mettant en possession, sans examen, des idées générales contemporaines. La manière d’enseigner de Socrate ne nous est pas exactement connue ; mais si en effet il commençait par ébranler dans les jeunes ames les croyances reçues, s’il leur inoculait l’habitude de faire table rase des traditions, si surtout son raisonnement était aussi sophistique ou aussi nuageux qu’il l’est quelquefois dans Platon, nous croirions avec Aristophane qu’il y avait là un mal réel, parce que le doute infiltré aux premières années corrompt la sève intellectuelle, arrête la croissance de l’esprit, tarit l’imagination, relâche tous les nerfs de la sympathie et de la sociabilité, et fait de l’être humain je ne sais quoi de rachitique ou d’égoïste, qui ne peut plus rien pour le pays ou ne veut plus rien que pour soi. L’examen est une fonction nécessaire, mais qui doit venir à son temps et marcher avec mesure ; il faut qu’un arbre soit fort pour qu’on puisse l’émonder, et rien n’annonce qu’Aristophane ait prétendu autre chose que cela.

Dans Plutus, la critique morale examine la distribution des richesses