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ARISTOPHANE.

se réconcilie avec elle. Faut-il en conclure l’influence d’un parti ? Le véritable esprit aristocratique a-t-il soufflé par là ? Non, mais c’est une réaction contre les folies populaires, c’est un besoin d’autorité intelligente qui se plaint et veut au moins réclamer. Partout aussi la réforme religieuse le poursuit dans ses rêves ; presque toutes ses pièces sont agressives à l’endroit des oracles, des devins, des dieux voraces, et le Plutus en particulier reproduit plusieurs fois le plan conçu parmi les oiseaux, qui est de dompter Jupiter par la famine, par la cessation des sacrifices. Or, tout cela, c’était son siècle ; disons plus : tout cela, ce n’est que la continuation d’une double pensée qui traversa toute la civilisation grecque, et qui remontait à ses plus vieilles origines. C’est la face critique d’Homère, ce Janus de la civilisation hellénique. Deux sortes de personnages sont comiques dans Homère : les dieux qui se querellent, s’injurient, se battent à coups de poings et se prennent dans des filets ; la populace, figurée par Thersite, le séditieux de bas étage, laid, boiteux et bossu, et par Irus, le mendiant ivrogne et paresseux, qui attaque les étrangers pour faire plaisir aux amans de Pénélope, lazzarone et bravo tout à la fois. Ainsi l’Olympe et la rue, la religion et la démocratie, voilà la comédie d’Homère, et c’est aussi celle d’Aristophane. Aristophane n’est donc que la suite et le développement d’Homère critique, comme Sophocle avait continué et approfondi l’idéal d’Homère créateur et artiste.

Cependant il n’en faudrait pas conclure que la préoccupation de l’époque ait complètement absorbé le génie d’Aristophane dans ces questions principales. Il n’en savait pas moins saisir avec force et traîner au grand jour des questions plus restreintes, des ridicules spéciaux, des travers épisodiques, comme il s’en rencontre à chaque pas dans la comédie de la vie. Athènes, ce foyer d’activité dévorante, lui en fournissait à foison. Une ville où il se faisait tant de choses, où il se produisait tant de pensées dont nous profitons encore aujourd’hui, ne pouvait être pauvre en aberrations singulières, en originalités plus ou moins répréhensibles, en phénomènes curieux d’esprits et de caractères. Le même mouvement qui pousse en avant les grandes choses remue aussi une foule d’objets secondaires, qui s’en vont déviant dans toutes les directions. Aussi pourrions-nous, si notre plan le permettait, après la critique politique et religieuse, étudier dans Aristophane la critique sociale, littéraire, philosophique et morale.

Ainsi, dans les Harangueuses, il fustige les théories sociales abso-