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notre race, et les produisit à la lumière. Les dieux n’existèrent pas avant que l’Amour n’eût mêlé tous les élémens : de ce mélange naquirent le Ciel, l’Océan, la Terre et la race immortelle des divinités bienheureuses. Nous sommes donc bien plus anciens qu’eux. C’est nous qui marquons les saisons : la grue, lorsqu’elle s’envole à grand bruit vers l’Afrique, vous avertit de semer ; l’arrivée du milan vous annonce le printemps et l’époque de la tonte des brebis ; l’hirondelle vous prévient qu’il faut vendre vos manteaux et acheter des vêtemens d’été. Nous valons pour vous tous les oracles d’Ammon, de Delphes, de Dodone. Vous prenez les augures, c’est-à-dire vous consultez les oiseaux, avant d’aller à vos affaires, avant de conclure marchés ou mariages… Adoptez-nous donc pour vos dieux, et nous serons pour vous des muses prophétesses en toute saison : nous n’irons pas loin de vous nous asseoir là-haut, majestueusement guindés dans les nuages, comme fait Jupiter ; nous resterons ici, et nous vous donnerons, à vous, à vos enfans, aux enfans de vos enfans, une riche santé, le bonheur, la vie, la paix, la jeunesse, le rire, les danses, les banquets, tout ce qu’il y a de plus délectable ; vous serez comblés de biens jusqu’à la fatigue, jusqu’à l’accablement, tant vous vous enrichirez tous…

« C’est ainsi que les cygnes, — tiò, tiò, tiò, tiò, tiò, tiò, tiotix, — mêlant leurs voix et faisant résonner leurs ailes, chantaient en l’honneur d’Apollon, — tiò, tiò, tiò, tiotix, — tranquilles sur les rivages de l’Èbre, — tiò, tiò, tiò, tiotix. — Leur chant s’élève jusqu’aux nues aériennes : les tribus variées des animaux sauvages sont frappées de surprise ; l’air laisse tomber les vents, et la fureur des flots s’éteint ; — totototototototototix ! — L’Olympe entier répond ; l’admiration saisit les dieux ; les Graces et les Muses du ciel (jalouses sans doute) répètent tristement la mélodie des cygnes : — tiò, tiò, tiò, tiotix.

« Rien de meilleur, rien de plus délicieux que d’avoir des ailes ; car, sans en chercher bien loin la preuve, si l’un de vous, spectateurs, avait des ailes, il pourrait, lorsqu’il a faim et que la pièce l’ennuie, s’envoler chez soi, dîner, et puis revoler à sa place, etc. »

Ainsi c’est convenu. La gent volatile a retrouvé ses titres, qui semblaient perdus dans la nuit des siècles ; elle ressaisit ses droits imprescriptibles. Mais lorsque, dans l’antiquité, on voulait bâtir une ville, il fallait la consacrer à une divinité : or, on ne veut plus de Minerve ni d’aucun autre habitant de l’Olympe ; il faut un oiseau ; ce sera donc un jeune coq qui sera le patron de la cité. Il fallait