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ARISTOPHANE.

lui défendrez de traverser désormais votre pays pour aller corrompre les épouses des hommes, comme il a corrompu Alcmène, Sémélé et tant d’autres. Quant aux hommes, s’il en est parmi eux qui ne reconnaissent pas vos droits, vous détacherez contre eux quelques légions de moineaux, qui mangeront les graines dans leurs champs après les semailles. Qu’ils s’en aillent alors demander du blé à Cérès ! D’autre part, vous enrichirez ceux qui se convertiront à votre culte, car, si les sauterelles rongent leurs vignes ou les moucherons leurs figuiers, un bataillon de chouettes et de grives les en débarrassera. Ils ne seront pas obligés de construire des temples de marbre : le temple des oiseaux, ce sera un bois d’oliviers ; il ne faudra plus faire de pèlerinages à Delphes ou à l’oasis d’Ammon ; il suffira d’offrir aux oiseaux, sous les arbres, un peu d’orge ou du blé dans la main… »

Ce plan paraît très plausible au peuple oiseau, et le remplit de joie. La grande entreprise est adoptée par acclamation. Le chœur inaugure la religion nouvelle par un hymne comique, où la cosmogonie orientale est invoquée comme preuve et justification de la prééminence des oiseaux sur les dieux. C’est une théologie prise aux plus anciennes sources sacerdotales, mais ridiculisée, mais semée d’allusions et de plaisanteries ; c’est une caricature du haut style dithyrambique, une parodie qui passe sans cesse de la gravité à la farce, et qui s’en va bondissant aux extrémités les plus opposées de l’imagination.

« Eh bien donc ! Ô hommes qui vivez dans les ténèbres, race éphémère comme les feuilles des bois, existences agonisantes, simulacres d’argile, ombres passagères, êtres d’un jour et sans ailes, mortels misérables et aussi fugitifs qu’un rêve, écoutez-nous attentivement, nous les immortels, nous les vivans dans l’éternité, nous qui régnons dans les airs, qui ne vieillissons pas, qui nous occupons des choses impérissables, afin qu’instruits par nous selon la vérité sur les phénomènes supérieurs, sur la nature des oiseaux, sur la genèse des dieux, des fleuves, de l’Érèbe et du chaos, vous puissiez désormais envoyer au diable Prodicus et sa philosophie.

« Au commencement était le chaos, et la nuit, et le sombre Érèbe, et le vaste Tartare ; mais la terre n’était pas, ni l’air, ni le ciel. Dans l’immense giron de l’Érèbe, la nuit aux noires ailes pondit d’abord un œuf sans germe, duquel, dans la suite des temps, s’épanouit l’Amour, rayonnant sur ses ailes d’or, et rapide comme les tourbillons des tempêtes. Celui-ci, à son tour, s’étant uni à travers la nuit immense du Tartare au Chaos ailé, engendra des petits, qui furent