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ARISTOPHANE.

aux gouvernemens futurs[1]. L’abolition de la religion existante, voilà le sujet réel de la pièce. Si quelques épisodes politiques s’y intercalent, c’est pour amener çà et là des traits de satire actuelle, sans lesquels la comédie d’Aristophane ne marche jamais ; mais le renversement des dieux n’en est pas moins la pensée qui domine, qui marche, et qui, dans les dernières scènes, présente ses conclusions de la manière la plus claire et la plus audacieuse qu’on puisse imaginer, audacieuse surtout, et c’est la chronologie qui le dit, car cette comédie des Oiseaux se jouait lorsque Alcibiade était rappelé de Sicile pour répondre à l’accusation d’avoir mutilé les statues de Mercure, accusation qui fit le malheur de sa vie. Mais Alcibiade vivait dans la politique active, il avait des rivaux qui remuaient tous les prétextes contre lui, et d’ailleurs son impiété avait été brutale. Celle d’Aristophane était spirituelle ; elle n’attaquait point directement les partis ; elle se liait par d’intimes rapports à l’incrédulité générale, et ce peuple, qui condamnait Anaxagore, Diagoras, Socrate et Alcibiade comme impies, applaudissait avec fureur aux représentations sacriléges d’Aristophane.

Deux habitans d’Athènes, nobles et considérés (remarquons encore ici que ce sont les hautes classes qui combattent à la fois la démocratie et le culte), s’avisent d’émigrer et de s’en aller au pays des oiseaux. « Ce n’est pas, disent-ils avec une piquante ironie, que nous haïssions notre ville ; ce n’est pas qu’elle ne soit grande et heureuse, et qu’elle n’accorde à tous un droit égal de se ruiner en procès : au contraire. Les cigales ne chantent que pendant un mois ou deux sur les branches des arbres ; les Athéniens, perchés sur la procédure, chantent toute la vie. » Voilà pourquoi nos deux citoyens s’en vont chercher ailleurs une cité tranquille, où ils puissent dormir en paix. Ils passent d’abord chez les oiseaux, pour consulter la huppe, oiseau voyageur qui sait la géographie, et qui leur dira si une telle ville peut se trouver quelque part ; mais, comme les renseignemens de la huppe ne les satisfont point, l’un d’eux, Pisthétère, imagine un autre plan : ses vues s’étendent, et il propose à la huppe, reine des oiseaux en ce pays-là, de bâtir une ville dans la vaste étendue

  1. Il n’y a qu’un sommaire grec (voyez l’édition de Brunck) qui laisse entrevoir la portée philosophique de cette comédie. Encore suppose-t-il que le but principal de la pièce est une révolution politique, et que l’abolition des dieux n’en est qu’une conséquence. Or, l’ensemble prouve, au contraire, que ce dernier point est le principal, et que c’est la politique qui est l’accessoire : toute la charpente de la pièce se compose du fait religieux.