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du sacrifice, de beaux revenus, en excitant la piété aux larges offrandes, aux immolations magnifiques, dont ils avaient la meilleure part. Il en résulta une réaction contre le sacrifice, qui devenait un impôt trop lourd. Les dîmes aussi excitaient des murmures, et les domaines consacrés à l’entretien des temples furent quelquefois violés. Toutefois ces sacriléges publics troublaient trop d’intérêts et de consciences pour se renouveler souvent. D’ailleurs, le sacerdoce établi étant un instrument de l’état, on maintenait, moins par croyance que par politique, ses grandes prérogatives, comme cela se voit en Angleterre de nos jours. Cependant, si on laissait au sacerdoce ses revenus constitués et réguliers, on lui disputait ses bénéfices casuels, et chacun pour son compte cherchait à s’y dérober. Il y a un instinct d’avarice vulgaire qui cherche sans cesse à esquiver les charges nécessitées par les institutions de toute nature ; cet instinct, même chez les croyans, répugnait aux offrandes et aux sacrifices, et la critique, qui trop souvent s’adresse aux mauvais penchans du cœur humain, lors même qu’elle veut arriver à des fins louables, s’attachait à soulever contre le culte l’argument pécuniaire. À quoi bon ces cérémonies ? Valent-elles ce qu’elles coûtent ? Telle était la question. Mais elle n’était pas neuve à l’époque d’Aristophane, il s’en faut de beaucoup. Elle remontait, au contraire, aux premiers âges de la nation.

En ces temps primitifs, le sacerdoce égyptien s’était fortement établi dans la Grèce. Les cités, les rois, les tribus, lui apportaient des dons immenses, des chiliombes ou sacrifices de mille bœufs, mais plus souvent des hécatombes ou sacrifices de cent bœufs. La Laconie avait adopté ce nombre, parce que, dit-on, elle renfermait cent villes. Dans l’origine, l’offrande entière était donnée aux dieux, c’est-à-dire aux prêtres : alors on l’appelait holocauste, parce qu’on la supposait entièrement consumée en l’honneur de la divinité ; mais une si complète destruction était inutile, il était juste d’ailleurs que le sacerdoce vécût de l’autel : on en brûlait donc quelque chose pour ne pas négliger le symbole, et le reste grossissait les revenus du temple. Prométhée pensa que c’était trop. Prométhée, que nous retrouverons tout à l’heure dans Aristophane, était le chef de la race de Japet et de Deucalion, c’est-à-dire qu’il représente la population autochtone que les Égyptiens avaient refoulée vers les montagnes. Il fut donc, dans la mythologie, le type de l’opposition hellénique contre le sacerdoce étranger. La légende en a fait un dieu ennemi des dieux, toujours en révolte contre leur usurpation, toujours prophétisant leur