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ARISTOPHANE.

naient une proposition directe, actuelle, relative aux affaires du moment. Que de vues générales d’ailleurs, que d’observations sérieuses, que d’idées positives et pratiques sur les grandes erreurs de l’époque ! Et sous ces caricatures par trop forcées, sous ces trivialités trop souvent repoussantes, quel instructif complément de la grave et sévère histoire de Thucydide ! L’histoire, de son haut point de vue, étale les côtés austères et tragiques des évènemens ; la comédie, au sourire narquois et sceptique, dévoile les petits tripotages cachés sous les grandes choses : toutes deux ensemble complètent le tableau de la vie sociale.

II.

Voilà comment Aristophane traitait en plein théâtre le régime politique au milieu duquel il vivait ; voyons maintenant sa critique religieuse. La scène des oracles dont nous avons cité quelques traits n’était qu’une légère escarmouche, et il y en a de cette sorte dans la plupart de ses pièces ; mais c’est dans les Oiseaux qu’il faut le voir attaquer de front l’assemblée des dieux : c’est là que, daignant à peine se voiler de la plus transparente allégorie, il sape l’autel à sa base. Rapprochons d’abord quelques faits qui doivent éclaircir l’interprétation de cette comédie, car nulle pièce du théâtre grec n’a autant d’importance historique et philosophique, et nulle n’a autant embarrassé les commentateurs.

L’acte fondamental de toutes les religions connues, c’est le sacrifice. C’était même, chez les Grecs, l’acte essentiel de la vie, car, pour dire sacrifier, ils disaient tout simplement agir, faire : ἔρδειν, ῤέζειν, δρᾶν. C’est que le sacrifice n’était, en définitive, qu’une prière symbolique exprimant le plus haut principe de la morale : offrande de toute vie humaine, figurée par un objet alimentaire, à la vie suprême, qui est Dieu ; et association, ou communion des hommes en Dieu, figurée par la manducation en commun de l’objet offert, c’est-à-dire par le banquet qui suivait le sacrifice, et où l’on mangeait la victime. Mais il vint un temps où le dogme s’enterra dans ses formes, et où la religion ne sembla plus qu’un ensemble de rites extérieurs, sans but moral bien défini. Les banquets sacrés devinrent une occasion d’intempérance, au point que des étymologistes, Aristote même, dit-on, croyaient que μεθυειν, s’enivrer, venait de μετα θυειν après sacrifier. L’étymologie est hasardée, mais elle n’en démontre que mieux le fait. D’autre part, les prêtres songèrent surtout à se faire, au moyen