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des milices nationales. Elle était, à Athènes aussi, la masse la plus résistante en politique, la plus active dans le commerce et les arts pacifiques ; mais la populace, subjuguée par des intrigans, l’avait débordée, et le sénat, corps assoupli et corrompu, pliait à tous les vents populaires. Cet appel à la classe moyenne est le véritable nœud de cette comédie ; le titre l’indique, et l’ordre des chevaliers y joue son rôle, représenté par le chœur.

Continuons notre analyse. Cléon paraît sur la scène. Telle était la frayeur qu’inspirait le tribun, qu’aucun acteur n’avait osé se charger de ce rôle ; aucun ouvrier n’avait voulu fabriquer un masque qui rappelât sa figure : Aristophane se barbouilla le visage et joua lui-même le personnage de Cléon. Il paraît, et ses premières paroles révèlent le délateur, le terroriste de ce temps-là. Il remarque une coupe dans laquelle Nicias et Démosthène avaient bu des rasades durant la scène précédente, en l’absence du maître. Cette coupe est de fabrique calcidienne. Aussitôt il jure et les accuse de conspirer avec les Calcidiens. « D’où vient que je vois là une coupe de Calcis ? Il est bien clair que vous êtes occupés à révolutionner la Calcide. Ah ! misérables, vous paierez cela de votre tête ! » Allusion aux accusations absurdes par lesquelles les sycophantes épouvantaient les malheureux qu’ils voulaient pressurer ; la populace, organisée en tribunaux de cinq cents membres chacun, donnait presque toujours gain de cause à ses favoris, et ceux-ci vendaient la sécurité aux faibles qui avaient besoin de l’acheter. Aussi le charcutier, saisi d’effroi, a-t-il pris la fuite avant que Cléon ait eu le temps d’achever sa menace. Démosthène le rappelle à grands cris ; en même temps il invoque les chevaliers, qui accourent ; l’émeute gronde, Cléon est enveloppé, battu, insulté. « Frappe, s’écrie-t-on de toutes parts ; frappe ce fourbe, ce désorganisateur de l’armée, ce dilapidateur, ce gouffre et cette charybde de la rapine ; ce fourbe, c’est le vrai mot, toujours fourbe, fourbe du matin au soir : frappez-le donc, poussez, serrez ; qu’on le renverse, qu’on l’insulte, qu’on le hue… » En vain Cléon crie au secours, invoque ses partisans, surtout les héliastes, c’est-à-dire ces jurés des tribunaux démocratiques auxquels il avait inspiré l’amour de l’oisiveté et de la procédure, en leur faisant distribuer trois oboles par séance, et qui étaient par là devenus ses créatures. — Ô mes respectables héliastes ! ô mes confrères des trois oboles ! vous que je nourris de plaidoiries criardes, sans m’inquiéter du juste ni de l’injuste, au secours ! je suis assailli par des conspirateurs. — Tant mieux ! répond le chœur des