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ARISTOPHANE.

ractère brutal, irascible ; il s’appelle Peuple, habite le lieu des séances, et vit de son suffrage, qu’il vend. C’est un petit vieillard difficile et un peu sourd. Le mois dernier, il acheta un nouvel esclave, un corroyeur de Paphlagonie, le plus rusé coquin, la plus dangereuse langue qui se puisse trouver. Ayant bien reconnu le caractère du vieillard, ce Paphlagon à cuirs se fit petit, flatta, caressa, chatouilla, dupa le maître par des gentillesses, disant : « Cher Peuple, quand vous avez jugé un procès, il faut vous reposer ; prenez un bain ; mangez, buvez, goinfrez, et recevez les trois oboles par-dessus le marché (c’était l’indemnité accordée aux cinq cents jurés de chaque tribunal, et que Cléon avait portée à trois oboles par séance) ; voulez-vous que je vous serve à souper ? » Et alors, s’emparant de ce que nous avions préparé, le Paphlagon courait s’en faire honneur auprès du maître. Dernièrement encore, j’avais pétri à Pylos une bonne galette lacédémonienne : ne voilà-t-il pas que le fripon s’en vient tourner autour, et, je ne sais comment, me la souffle, et s’en va la mettre sur table lui-même ! Et puis il nous tient à distance ; il ne permet pas qu’aucun autre que lui serve le maître ; armé d’une lanière, il monte la garde pendant le dîner et chasse quiconque voudrait dire le moindre mot. Et puis il débite des oracles au vieillard, qui se laisse prendre à tous ces radotages de sibylles ; et puis, quand il le voit bien abêti, il pousse ses avantages, il calomnie ses camarades, et nous recevons le fouet. Pendant qu’on nous fouette, il va, il vient, il sollicite celui-ci, il effraie celui-là, et vend la faveur dont il jouit, disant : « Voyez-vous comme j’ai fait fouetter Hylas ? Prenez garde, si vous ne m’apaisez, vous êtes mort, pas plus tard qu’aujourd’hui. » Et nous nous laissons rançonner ; ou bien, si nous résistons, le maître nous foule aux pieds et nous extorque huit fois davantage. »

On sent bien qu’un tel régime est intolérable ; il faut que Nicias et Démosthène s’exilent ou qu’ils renversent ce gouvernement d’oppression et d’avanies. Tout à coup l’idée vient à Démosthène, une idée lumineuse. Parmi ces oracles dont Cléon se sert pour maîtriser le peuple, il doit y en avoir certainement qu’il cache parce qu’ils lui sont contraires, car les prêtres consultés avaient assez l’habitude d’équivoquer ou de prophétiser le pour et le contre à la fois, afin de deviner toujours juste. — Tâchons de lui dérober ces oracles contraires. Précisément le voilà qui dort. — On lui escamote donc un feuillet d’oracle, et, par bonheur, c’est un de ceux qu’on peut tourner contre lui. « Voilà, s’écrie Démosthène, voilà de quoi le mettre à