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savait pas s’emparer de Sphactérie, il s’en emparerait bien, lui, Cléon. On le prit au mot, et le peuple, qui s’amusait de tout, le nomma général, et l’envoya à Pylos. Très embarrassé d’abord, il réussit cependant, parce que, durant toutes ces discussions, Démosthène avait pris de nouvelles mesures ; Cléon arriva tout-à-fait à propos pour frapper le dernier coup qu’un autre avait préparé, et pour en usurper la gloire. Ce fut l’origine de sa popularité, et c’est de là qu’Aristophane part pour démasquer ses intrigues. Il s’agit donc de renverser un ministère, comme nous dirions aujourd’hui ; il s’agit d’opposer à Cléon un rival doué des qualités nécessaires pour obtenir une majorité dans la place publique : voilà le sujet de la pièce.

Le poète suppose qu’un petit homme vieux et acariâtre, qui s’appelle Peuple, et qui en effet représente le peuple, a deux valets ou esclaves, qui sont Nicias et Démosthène. Ce maître s’est procuré récemment un troisième esclave, corroyeur de son état, c’est Cléon. Celui-ci s’empare de la faveur du vieil imbécile par des flatteries, des mensonges, des prophéties, et persécute les autres, qui l’appellent Paphlagonien ou Paphlagon, sobriquet injurieux, parce qu’il ne venait rien de bon, à ce qu’on croyait, de la Paphlagonie, pays de criards et de vociférateurs. Ils complotent donc de le faire chasser à tout prix. La première scène nous montre Nicias et Démosthène sous l’accoutrement servile ; ils gémissent de la façon la plus comique sur les coups de bâton qu’ils reçoivent à tout propos depuis que cet intrus s’est glissé dans la maison. Quand ils ont bien pleuré, ne sachant que faire, et en attendant qu’il leur vienne une idée, Démosthène se tourne vers les spectateurs et leur expose toute la situation.

« Voici ce que c’est, leur dit-il : nous avons un maître d’un ca-

    connaître, et elles le déguisent. On pourrait leur pardonner d’assez nombreux contre-sens ; mais ce contre-sens perpétuel qui consiste à rendre la plus étonnante souplesse de style par une prose traînante, monotone et lourde, est un véritable outrage. C’est d’ailleurs un phénomène littéraire que l’attitude des critiques et des traducteurs vis-à-vis d’Aristophane. Ils avouent tous ne pas savoir où la plupart de ses pièces en veulent venir ; les auteurs même des sommaires grecs ne sont pas bien arrêtés sur le but du poète. Au reste, si les matériaux d’érudition ne manquent pas à la littérature grecque, nous croyons fermement que l’esprit en doit être étudié de nouveau, et qu’il faut en remanier entièrement l’explication avec les données de la science moderne. À force de monographies et de comparaisons, on refait le moyen-âge, qui n’était nullement compris il y a trente ans, quoique si près de nous ; on a essayé de refaire l’histoire romaine : l’histoire grecque est à refaire dans presque tous ses élémens, et elle offre une admirable mine à qui pourra l’exploiter.