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ARISTOPHANE.

puisait plus ses forces dans l’assentiment des chefs de la pensée publique ; il s’abandonnait aux puissances qui s’en faisaient un instrument ; il vendait des oracles, il vendait le suffrage des dieux à Cléon et aux autres tribuns. Nous verrons tout à l’heure quelle vigueur et quelle âcreté ces abus donnaient aux attaques de la philosophie, et comment Aristophane, livrant à la risée publique les oracles imposteurs et poursuivant Jupiter lui-même jusque sur son trône, lui ravissait Basiléia, la souveraineté, pour la livrer aux hommes.

Cette double critique, politique et religieuse, est donc la pensée dominante des comédies d’Aristophane, et pour bien exposer sa manière, la hardiesse et la justesse de ses coups, nous ne pouvons mieux faire que d’analyser deux pièces où ces deux ordres d’idées soient traités spécialement et à part. On sent bien qu’il ne peut y avoir ici de démarcation absolue ; les traits lancés contre le paganisme et ceux qui atteignent la démocratie volent ordinairement pêle-mêle dans toutes les pièces, à mesure que l’imagination les suggère. Cependant il y en a une, celle des Chevaliers, qui est presque exclusivement politique, et une autre, celle des Oiseaux, dont la portée est essentiellement religieuse : nous choisirons ces deux-là[1]. Commençons par les Chevaliers, c’est-à-dire par la comédie politique.

Quatre ans après la mort de Périclès, deux généraux, Démosthène et Nicias, étaient chargés de la principale direction de la guerre. Le premier avait fortifié Pylos, et assiégeait dans Sphactérie, petite île voisine, une troupe de Lacédémoniens. Il n’était pas aisé de les réduire : on négocia ; mais, quand l’affaire fut discutée devant le peuple d’Athènes, Cléon, le corroyeur démagogue, ennemi personnel d’Aristophane, s’opposa au traité, et prétendit que, si Démosthène ne

  1. La Harpe a traduit quelques passages de la première, et Barthélemy quelques scènes accessoires de la seconde ; mais, si l’on veut bien comparer avec ce qu’ils en ont dit notre fidèle analyse, on se convaincra que ni l’un ni l’autre n’a compris le sens, pourtant bien clair, de la pièce dont il parlait : assertion hardie sans doute, mais que chacun peut vérifier. Ni l’un ni l’autre n’a soupçonné ce que la pièce signifie dans son ensemble ; ils ne s’attachent qu’à des épisodes, à des détails, que leur traduction énerve et décolore. Depuis La Harpe et Barthélemy, le théâtre grec n’a pas manqué de traducteurs ; mais là comme partout c’est encore l’histoire du mot de Byron. Tout récemment, on a réimprimé, dans une bibliothèque prétendue choisie, une traduction d’Aristophane qu’il eût mieux valu ne pas mettre au jour. N’est-il pas fâcheux que, sous prétexte d’art et de choix, on décourage ainsi les nobles esprits qu’aurait pu tenter une difficile entreprise ? En général, on ne saurait trop blâmer les traductions complètes d’Aristophane. Elles prétendent le faire