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ARISTOPHANE.

devant l’opinion publique. Les hommes indépendans étaient écrasés entre les deux partis…

« Ce fut à Corcyre que ces audacieuses scélératesses osèrent se manifester d’abord. On y vit tout ce que peuvent faire par représailles ceux qui ont été gouvernés trop durement, tout ce qu’osent tenter ceux qui espèrent sortir de leur indigence accoutumée, ceux dont la rapacité brille de s’emparer du bien d’autrui, ceux qui, poussés d’abord dans la lice par leur bon droit, se laissent bientôt emporter par l’indiscipline de leur colère, et s’abandonnent à d’impitoyables excès. Toutes les conditions de la vie sociale étant ainsi renversées, la nature humaine, si prompte à enfreindre les lois lors même qu’elles sont dans leur vigueur, se voyant alors victorieuse des lois même, se montra volontiers plus faible que la passion, plus forte que le droit, et ennemie de toute supériorité. »

Tels sont les traits principaux du tableau de Thucydide. Emprisonnés dans ce cercle infranchissable de calamités, spectateurs ou victimes des cruautés aristocratiques et des fureurs populaires, quelle pouvait être la plus journalière disposition d’esprit des hommes éminens de cette époque ? Assurément ils ne pouvaient s’attacher bien fort à aucune forme spéciale de gouvernement ; mais ils s’accoutumaient à les juger toutes, à en analyser le mécanisme, les lois, les résultats logiques et d’expérience. La critique politique se formait donc sur tant de ruines, et s’éclairait au vaste incendie de la guerre de principes. Déjà d’ailleurs, et depuis long-temps, l’esprit observateur des Grecs avait médité sur les conditions de la vie politique ; il y en a des traces dans Homère et dans Hésiode ; les poètes gnomiques témoignent de cette préoccupation ; le bon Hérodote avait intercalé dans son histoire une discussion dialoguée sur les avantages respectifs des diverses formes de gouvernement, qui est le premier germe de la belle scène de Corneille entre Cinna, Maxime et Auguste ; enfin Xénophon, Platon, Aristote, devaient bientôt jeter là-dessus les bases d’une véritable science. En général, tous ces grands hommes éprouvaient une répugnance marquée pour le gouvernement démocratique. Ils ne voyaient dans la démocratie, en prenant ce mot dans son sens naturel, qu’un monstrueux contre-sens pratique, en vertu duquel l’ignorance est appelée à trancher les questions ardues, la multitude inconstante à suivre les longs projets, les passions mesquines à diriger les grandes choses. Ils ne contestaient point qu’il fût utile d’organiser dans l’état un élément populaire, mais le peuple souverain, le peuple principe du pouvoir, leur sem-