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le sacrilége démocratique, en chassant de nouveau les familles maudites. Périclès en était, par sa mère. Que firent les Athéniens ? ils réveillèrent à leur tour les souvenirs hostiles ; ils remirent en scène la race opprimée des Hilotes. Plusieurs de ceux-ci s’étaient un jour réfugiés dans le temple de Neptune, sur le Ténare. De tels asiles étaient souvent nécessaires à ces forçats de la conquête que leurs maîtres traquaient et tuaient à travers champs comme des bêtes fauves. Les Lacédémoniens avaient donc fait sortir du temple ces supplians et les avaient massacrés. N’était-ce pas aussi un sacrilége ? Athènes demanda que les Lacédémoniens se purifiassent par des expiations du sacrilége aristocratique du Ténare. On le voit, l’aristocratie et la démocratie se harcèlent sans oser dire encore leur dernier mot : l’une et l’autre se masquent sous un voile sacré. Du reste, les Athéniens avaient deux expiations à demander pour une, car l’ambitieux Pausanias, ayant voulu soulever les Hilotes (toujours les Hilotes) pour se saisir de l’autorité dans Sparte, se réfugia aussi dans une chapelle ; les Lacédémoniens en ôtèrent le toit, en murèrent les portes, et l’en arrachèrent mourant de faim. Encore un sacrilége dont les Athéniens prièrent leurs adversaires de se faire expier. C’était habile ; car non-seulement ils appelaient par là des menaces et des antipathies religieuses sur la tête de leurs ennemis, mais encore ils y trouvaient occasion de faire retentir sans cesse, comme une provocation terrible, ce nom des Hilotes, cette cause des vaincus, cette imprécation contre la servitude d’un peuple. Le mot servitude n’était pas une métaphore en ce temps-là.

Il y avait donc intention de propagande de part et d’autre. Sparte demandait que les Athéniens laissassent aux villes qui leur étaient soumises l’autonomie, ou le droit de se gouverner par leurs propres lois. Périclès vit bien l’arrière-pensée des Spartiates, et il demanda que Sparte laissât également à ses villes sujettes l’autonomie, mais réelle, mais sincère, de sorte qu’elles pussent librement se faire leurs constitutions, sans être obligées de les mettre en harmonie avec la société lacédémonienne. Au fait, c’était là toute la question, et Périclès la comprenait admirablement bien. Dans l’état des choses, c’était la démocratie qui avait l’influence contagieuse. C’est sous ce rapport aussi qu’il faut considérer la fameuse oraison funèbre prononcée par Périclès en l’honneur des guerriers d’Athènes morts pour la patrie, et dont Thucydide a conservé le fond. On y reconnaît bien le grand orateur dont l’éloquence grave et sévère appelle les rayons d’une gloire immortelle sur ces imposantes funérailles ; mais on y sent aussi