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tion. La critique se trahissait dans les beaux drames d’Euripide, comme chez nous dans Voltaire, par ces maximes sèches qui sonnent si faux parmi les purs accens de la tragédie. Enfin la statuaire s’en ressentait aussi, et les successeurs de Phidias corrigeaient sa grande manière. Ce qui généralisait surtout, en l’expliquant, cette tendance à la critique, c’était l’état de la société, le mouvement de la politique. La guerre du Péloponèse, où nos abréviateurs et nos compilateurs d’histoire grecque n’aperçoivent qu’une multitude de petits combats, de calamités ennuyeuses et de séditions décousues, fut au contraire la plus une dans sa cause, la plus sociale, je dirais presque la plus philosophique, que l’antiquité nous ait racontée. Pour s’en convaincre, il faut la lire attentivement dans le grand écrivain contemporain qui en a écrit l’histoire ; et comme cet élément nous est nécessaire pour apprécier Aristophane, comme Thucydide et Aristophane, quelque divers qu’ils soient, ou plutôt parce qu’ils sont infiniment divers, se commentent l’un l’autre, sont même indispensables l’un à l’autre, je résumerai ici rapidement, d’après l’historien, la situation politique dont s’est emparé le poète.

I.

La guerre du Péloponèse fut ce que nous appelons aujourd’hui une guerre de principes. Elle eut pour but et pour moyen, des deux parts, la propagande ; Sparte serrait partout le frein de l’aristocratie, Athènes lâchait partout les forces démocratiques. Thucydide avait bien raison de dire[1] que l’époque qu’il se proposait de raconter était remarquable entre toutes. Quand nous lisons son histoire, notre esprit est souvent frappé de rapprochemens qui semblent identifier ces temps reculés aux nôtres, ce qui indique un de ces ébranlemens profonds par lesquels les sociétés les plus éloignées dans le temps et dans l’espace subissent les mêmes crises, manifestées par des symptômes semblables.

L’antagonisme des institutions, si diverses dans les cités grecques, s’était ajourné et semblait avoir disparu pendant le grand mouvement national qui repoussa l’invasion des Perses ; mais les cinquante années qui suivirent la retraite de Xercès furent remplies de dissensions intestines, provoquées ou échauffées par les Asiatiques,

  1. Thucyd., liv. I, 20.