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il veut savoir la situation des Grecs, s’informe de leur marine premièrement, et en second lieu de l’effet des comédies d’Aristophane. Et lorsqu’un roi de Sicile demandait à Platon un tableau vrai de la société athénienne, le philosophe lui envoyait, quoi ? les comédies d’Aristophane. Il y a dans toutes les histoires littéraires, mais surtout dans l’histoire littéraire de la Grèce, des anecdotes de ce genre, dont la valeur n’est pas dans le fait, mais dans la signification ; elles sont vraies ou fausses, mais elles sont la forme extérieure et symbolique d’une opinion admise. Aristophane est donc l’un des types essentiels du génie grec ; autant Sophocle fut neuf, éminent et à jamais fécond dans l’ordre des beautés idéales, autant Aristophane fut original, spontané, actif dans l’ordre critique. Quel est donc le secret de cette force qui, par la comédie, s’exerçait sur la politique et qui opposait les acteurs d’un théâtre aux tribuns de la place publique ?

Il faut d’abord tenir compte du génie personnel du poète, assez souple et assez étendu pour traduire l’extrême diversité des sentimens et des idées qui s’agitaient autour de lui. Athènes flottait en pleine démocratie : c’est dire que les instincts et les facultés s’y déployaient librement, ardemment, en bien et en mal, avec toutes les oppositions et les contradictions qui sont dans la nature humaine. Quand on songe que des hommes tels que Périclès, Nicias, Socrate, se trouvaient entraînés dans un tourbillon d’aveugle populace, qu’ils étaient réduits à soumettre et à faire agréer leurs grandes vues aux plus minces boutiquiers d’Athènes, qu’ils dépensaient une belle partie de leur intelligence à lutter contre les politiques de cabarets, les marchands de suffrages, et les démagogues dont la grossière polémique remuait et faisait bouillonner toute cette fange, on comprend quelle voix discordante devait sortir d’une foule ainsi composée, combien de nobles paroles et de cris impurs, combien de raison et de caprices, combien de bon sens et de folie. Or, cette voix de sa nation, Aristophane savait l’accompagner dans toute son étendue. Son esprit embrassait l’esprit contemporain d’un bout à l’autre. Ni la haute raison de l’homme d’état, ni les entraînemens de l’orateur politique, ni les élans du poète, ni la moquerie ingénieuse, ni la farce grossière, ni les plus détestables calembours, ni l’obscénité la plus révoltante, rien de ce qui distinguait l’esprit ou déshonorait les mœurs de son temps ne lui manquait ; s’identifiant ainsi aux qualités des uns et aux vices des autres, il savait se faire tellement Athénien, qu’Athènes lui permettait, pour ainsi dire, tout ce qu’elle se serait permis à elle-même. De là l’étonnante variété de tons