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capitalistes hollandais avaient disséminé leurs capitaux chez les nations étrangères, quoique la plupart, comme le remarquait Adam Smith, occupant des emplois élevés dans la république, parussent devoir tenir, plus que les négocians des autres contrées, à conserver leur fortune auprès d’eux. Dès 1830, M. Huskisson s’alarmait pour l’Angleterre de cette émigration, dont il avait vu l’origine et calculé toute la portée. Il savait bien, en effet, que le principal fondement de la suprématie commerciale de son pays était cette accumulation de richesse mobile qui pendant tant d’années s’était si prodigieusement et si persévéramment accrue. Ce n’est pas sans doute à cette suprématie que la France et les autres nations doivent viser ; mais elles peuvent et doivent prétendre à diminuer de plus en plus une inégalité qui maintient entre les puissances politiques de trop menaçantes disproportions. Le moyen le plus sûr d’atteindre ce résultat n’est-il pas de favoriser les changemens qui tendent naturellement à s’opérer aujourd’hui dans la répartition des capitaux entre les nations commerçantes ? Si la richesse s’est jusqu’à ce jour concentrée en Angleterre, qu’on n’en oublie pas surtout la principale cause : c’est que là seulement, grace à une constitution fermement assise et à des lois inspirées par les intérêts représentés du pays et contrôlées par le bon sens national, elle trouvait une sécurité que l’ignorance ou la folie du pouvoir absolu lui refusait sur le continent. La paix générale et de libres institutions assurent aujourd’hui le même privilége à notre patrie, et l’attraction qu’elle commence à exercer sur les capitaux anglais n’est pas le moindre des bienfaits dont elle soit redevable à ces institutions qu’elle a conquises et à cette paix qu’elle a maintenue au prix de tant de sacrifices. Ne serait-ce donc pas céder à un entraînement aveugle que de renoncer aux avantages qu’elle peut s’en promettre ? Les partisans du traité de commerce avec l’Angleterre parlent beaucoup, il est vrai, des garanties qu’il donnerait à la paix. Pour nous, nous ne pensons pas que ce serait se montrer ami fort intelligent de la paix que de s’exposer à en perdre un des fruits les plus précieux, en faisant témérairement avorter un état de choses qu’elle a tant contribué à produire.


E. Forcade.