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un fanatique sectateur de la théorie absolue de la liberté des échanges. Homme pratique avant tout, M. Huskisson s’inspirait principalement des besoins immédiats de son pays ; ses mesures (il ne fit que substituer un système de protection au système prohibitif) et ses paroles formelles ne laissent aucun doute à cet égard. En toute rencontre, et surtout lorsqu’en 1824 il proposa à la chambre des communes de remplacer par un droit ad valorem de 30 pour 100 la prohibition qui pesait sur les soieries étrangères, il crut devoir se défendre avec énergie de toute prédilection pour les théories économiques. « Dans le cours de ma vie publique, disait-il en terminant son discours sur cette mesure, j’ai trop appris à me défier de l’incertitude des théories pour pouvoir jamais me prendre d’enthousiasme en faveur d’aucune… Si je suis libéral envers les autres nations, c’est parce que je sens que je sers mieux par là les intérêts de mon pays[1]. » L’année suivante, en présentant le plan d’une révision générale du tarif, il formulait en ces termes le principe, assurément fort peu téméraire, qui réglait ses concessions aux produits manufacturés étrangers : « Le résultat des changemens dont j’ai soumis le plan à la chambre sera, relativement aux produits manufacturés étrangers sur lesquels le droit est imposé pour protéger nos propres manufactures, et non dans le but de grossir le revenu, que le droit ne dépasse plus désormais 30 pour 100 de la valeur. Si l’article n’est pas manufacturé à beaucoup plus bas prix ou bien mieux à l’étranger que dans ce pays, un droit semblable est suffisant ; si l’étranger le donne à un prix inférieur et d’une qualité tellement supérieure que le droit de 30 pour 100 soit insuffisant pour protéger notre industrie, je dis d’abord qu’une plus grande protection ne serait qu’une prime accordée au contrebandier, et ensuite qu’il n’est pas sage de tenter une concurrence qu’une protection semblable ne pourrait soutenir. Donnez à l’état la taxe qui sert aujourd’hui de salaire au contrebandier, et permettez au consommateur d’acquérir une marchandise meilleure et moins chère sans l’exposer, pour satisfaire ses convenances, à violer chaque jour les lois de son pays. » Telles sont, pour l’abaissement des droits, les limites pratiques et, on le voit, très modérées que M. Huskisson n’a jamais dépassées.

Si les réformes de ce ministre ont eu un si grand retentissement, ce n’est donc pas qu’il ait fait, ni préparé, ni souhaité une révolu-

  1. Alteration in the laws relating to the silk trade. — Speeches, t. II, p. 238.