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D’énormes capitaux agglomérés, continuellement grossis et par leurs profits et par l’absorption progressive du capital flottant des nations continentales, la grande industrie, la navigation et le commerce monopolisés, l’approvisionnement du monde à desservir, tels furent donc les merveilleux priviléges dont la Grande-Bretagne fut surtout investie au paroxisme même de la lutte. Ainsi secondée, il n’est pas surprenant que l’industrie anglaise ait suffi sans peine aux charges immédiates de la guerre ; mais on comprend aussi que la paix dut rompre brusquement le cours de ces factices prospérités. Si, après la paix, l’Angleterre conserva encore sur le reste de l’Europe une avance considérable dans la carrière de l’industrie et du commerce, ses monopoles furent entamés. La paix rappela vers les entreprises industrielles et commerciales les capitaux et l’activité du continent, que la guerre en avait si long-temps détournés. Les nations maritimes reprirent leur place naturelle dans la navigation du monde. Les souverains vainqueurs de Napoléon acceptèrent ses idées économiques dans l’héritage de sa puissance politique, et, pour développer dans leurs états les manufactures dont la politique de Napoléon avait jeté les premières semences, ils s’entourèrent contre l’invasion des produits britanniques d’une formidable enceinte de tarifs. Les alliés que les Anglais avaient eus durant la guerre devinrent ainsi à la paix leurs rivaux commerciaux. La situation de l’industrie anglaise fut complètement altérée. D’une expansion continue et rapide qu’avaient jusqu’alors plutôt excitée qu’entravée les obstacles qu’on avait voulu lui opposer, elle passa à un état de lutte sérieuse, et par suite fut exposée à subir de fréquens et douloureux resserremens. D’ailleurs ses charges envers l’état, qui avaient triplé depuis 1793, continuèrent à peser sur elle du même poids. Elle fut obligée d’apporter au revenu public le même contingent que durant la guerre, et de subvenir à peu près seule à un budget de 12 à 1,500 millions. Les périls de ce nouvel ordre de choses, manifestés de 1816 à 1820 par des crises commerciales qui eurent un contre-coup politique immédiat dans l’agitation des populations ouvrières, ramenèrent l’attention des économistes et des hommes d’état anglais vers les idées qui avaient inspiré la politique de sir Robert Walpole et de M. Pitt, et on pensa à soulager l’industrie par des remaniemens de tarif.

Les manufacturiers et les négocians, premières victimes du mal, furent aussi les premiers à signaler le remède. Dans le mois de mai de l’année 1820, M. A. Baring (aujourd’hui lord Ashburton) présenta à la chambre des communes une pétition du haut commerce de