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POLITIQUE COMMERCIALE DE L’ANGLETERRE.

térêt producteur ne fut compromis ; au contraire, des faits notables, rappelés encore en 1825 par M. Huskisson, vinrent prouver combien l’émulation de la concurrence étrangère peut devenir profitable à l’industrie anglaise. Il y eut, par exemple, l’année qui suivit le traité, une importation considérable de draps fins français : on les préférait aux tissus indigènes ; un homme à la mode ne pouvait porter que des habits de drap français. Au bout de deux ans, les manufacturiers anglais nous avaient déjà supplantés, et les habits de drap français étaient toujours prescrits par la mode avec la même rigueur, que les étoffes employées ne sortaient plus que des fabriques de la Grande-Bretagne[1]. Quelles n’eussent pas été pour la France les conséquences économiques et politiques du traité de Versailles, si la révolution ne les avait prévenues ! que l’on réfléchisse seulement aux résultats que l’Angleterre en eût retirés. Lorsqu’à l’accumulation des capitaux, cet élément déjà si considérable de la supériorité industrielle et commerciale, elle aurait joint les forces toutes-puissantes qu’allait lui donner l’application de la vapeur aux machines, ses produits auraient conquis sur le marché français une domination absolue. La division établie par M. Pitt entre la vocation industrielle de l’Angleterre et la vocation purement agricole de la France n’eût plus été une supposition arbitraire, elle serait devenue une réalité irrévocable ; alors aussi aurait été confirmé ce mot de M. Pitt, si vrai en plus d’un sens, qu’entre une contrée spécialement agricole et un pays manufacturier l’avantage d’un traité de commerce doit finalement demeurer à celui-ci. La suprématie industrielle, commerciale et maritime, cette suprématie accidentelle et incertaine que tant de peuples ont tour à tour possédée, et pour laquelle l’Angleterre soutient aujourd’hui avec des chances de jour en jour plus défavorables une lutte si laborieuse, aurait été peut-être à jamais consolidée entre ses mains.

Nous concevons donc sans peine que le souvenir du traité de Versailles réveille des regrets amers parmi les économistes et les hommes d’état anglais. À la rupture de la paix, en 1793, l’Angleterre, il est vrai, ne pouvait pas encore mesurer l’étendue de la perte qu’elle allait faire. Le mouvement industriel qui l’emporta peu de temps après n’avait pas pris encore ce développement gigantesque qu’il devait lui être plus tard si difficile de maintenir. Les revenus de l’état

  1. Speeches of the right hon. W. Huskisson, t. II, p. 345 ; Exp. of the foreign commercial policy of the country.